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Mourir pour Saragosse

Mourir pour Saragosse

Titel: Mourir pour Saragosse Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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répit, quand je sentis une chaude humidité sur mon poignet. Je constatai avec stupeur que ces gouttes étaient du sang et s’écoulaient d’une gargouille.
    Je m’avançai dans l’église, accédai à la galerie supérieure et ne pus réprimer un frisson d’horreur devant le corps d’une femme gisant dans la gouttière, morte depuis peu et qui semblait me sourire à travers sa chevelure.
    La prise de cet édifice nous avait donné du mal. Il était défendu par une vingtaine de campesinos qui s’étaient battus comme des chiens enragés. Ceux qui avaient échappé à nos baïonnettes avaient sauté du haut du clocher. L’un d’eux était tombé sur mon cheval qui avait été pris de folie et que j’avais eu du mal à maîtriser.
    Alors que je me battais dans la nef, j’eus un hoquet de surprise en voyant pendre à un mur, à moitié détaché de son cadre, un tableau que des balles avaient endommagé. Il représentait un jeune mendiant et me sembla être une œuvre de Murillo. Une fois débarrassé de mon assaillant, je finis de le détacher de son cadre pour le remettre à Lejeune.
    – Tu as vu juste, me dit-il. C’est bien une toile de Murillo, mais dans quel état ! Je vais tenter de la restaurer avec les moyens du bord. Je l’offrirai à l’Empereur, si je suis appelé à le revoir…
    Tous les tableaux qui couvraient les murs des lieux saints ne connurent pas le même destin. Nos soldats en tapissaient leurs abris pour se protéger de la pluie et du froid, quand ils avaient la chance d’avoir un toit.
    C’est ainsi que disparurent à jamais ou furent sévèrement endommagées nombre d’œuvres des plus grands artistes du Siècle d’or. M’opposer à ce vandalisme m’eût exposé aux sarcasmes. Certains, je dois en convenir, en apprenant le nom et la signification du mot « vandalisme », consentirent à se séparer de leur butin. Je dus en racheter d’autres : quelques pesos pour un Vélasquez, une bouteille au mess pour un Valdés Real…
    Je fis de même pour des livres précieux qui leur servaient de litière et d’oreiller, pour les vêtements sacerdotaux prélevés dans des sacristies, dont ils se faisaient des couvertures,et pour les ciboires d’argent dans lesquels ils buvaient le vin de leur ration.
    Nos Polonais étaient les seuls, ou presque, à marquer du respect pour les œuvres d’art et les objets du culte. J’en surprenais qui, au plus fort de la mêlée, descendaient de leur cheval pour s’agenouiller et prier devant l’image peinte d’un saint ou d’un Christ. Ces œuvres leur faisaient oublier les grossières icônes de leurs églises rurales.

    Depuis la fin du mois de janvier, nous subissions les attaques d’un ennemi plus sournois mais presque aussi dangereux que nos ennemis : une épidémie de typhus.

2
    Un mal qui répand la terreur…
    C’est notre chirurgien en chef, Louis-Vivant Lagneau, qui informa le maréchal Lannes du danger mortel qui nous menaçait et des mesures que nous allions devoir prendre pour le combattre. L’épidémie de typhus sévissait désormais dans nos rangs.
    Il lui révéla que cette maladie, digne des « plaies d’Égypte », pourrait causer des dégâts importants dans nos effectifs, et qu’il était urgent de prendre des dispositions.
    J’avais moi-même, depuis peu, été surpris du comportement de certains de nos chasseurs. Au cours d’un engagement, ils pouvaient s’immobiliser soudainement, comme frappés par la foudre, laisser choir leur fusil et tomber à terre.
    Ils se plaignaient de maux de tête, de dos et d’une sensation de vertige.
    J’en avais averti Lannes ; il s’était esclaffé :
    – Ces dames ont des vapeurs ? Eh bien, qu’on leur apporte des sels ! Barsac, ceux qui font des manières sont des tire-au-flanc. Il faut les soigner à la cravache !
    Nos infirmiers y perdaient leur latin.
    – Bah ! Il s’agit d’une banale fièvre ou d’une infection alimentaire. Quelques tisanes leur feront retrouver leurs forces.
    Ces ânes bâtés n’avaient d’autres remèdes que des infusions, alors que l’état des malades s’aggravait d’heure enheure. Pris de frissons, ils s’agitaient dans leur sommeil, torturés par des douleurs partant de la colonne vertébrale, au point qu’ils négligeaient d’aller à la selle. Lorsque je les questionnais sur leurs maux, ils ne pouvaient me répondre : leur langue restait collée au palais…
    Informé de ces symptômes, Lagneau en tira des

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