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Mourir pour Saragosse

Mourir pour Saragosse

Titel: Mourir pour Saragosse Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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soustraire à nos armées les effectifs d’une escorte. Junot était partisan de ne pas faire de quartier et de les jeter dans le fleuve. Plus humain, Haxo était d’avis de les utiliser au creusement des tranchées et à l’enlèvement des cadavres, mais cette expérience fut décevante : beaucoup désertaient et ceux qui restaient rechignaient à travailler.
    La solution la plus humaine eût été de les libérer, mais nous les eussions retrouvés face à nous, l’arme au poing.
    Lannes eut le dernier mot : nous allions les conserver jusqu’à la fin du siège, ce qui n’était selon lui que l’affaire de quelques jours. C’est à moi qu’il confia le soin de les mener au château de l’Aljaferia, encadrés par des cavaliers hongrois, et de veiller à leur hébergement, en évitant toute brutalité inutile.
    Je ne pus éviter quelques évasions. Comme nous longions l’Èbre, des prisonniers sautèrent dans le fleuve, mais laplupart, à bout de forces ou ne sachant nager, ne purent gagner l’autre rive. J’interdis de tirer sur eux.
    Je trouvai sans peine de quoi les loger dans cette immense bâtisse déjà occupée par un groupe de leurs congénères, ainsi que du bois pour qu’ils se chauffent car il régnait dans la forteresse une température sibérienne. Ils acceptèrent leur nouvelle condition sans trop protester, la plupart étant persuadés que, si je les conduisais en dehors de la ville, ce serait pour les exécuter.
    Je restai en leur compagnie jusqu’au soir pour m’assurer qu’on leur distribuerait une ration normale et que la petite garnison maintenue sur place les respecterait.
    Avant de partir, je les fis rassembler dans la cour et leur adressai une brève harangue dans leur langue, pour les prévenir que toute tentative d’évasion serait punie de mort. Je terminai en leur lançant :
    – Que Dieu vous garde !
    Un vieux moine à la robe souillée de sang et de boue, que nous avions pris une machette à la main, se dressa et s’écria :
    – Tu parles de Dieu, capitán , mais sache qu’il reste sourd à tes paroles ! Entre toi et nous, il a fait son choix. On ne prend pas comme une bourgade la cité de Notre-Dame del Pilar. D’ici peu les Français reprendront la route des Pyrénées, la queue entre les jambes, comme des chiens battus.
    Je ripostai :
    – Si Dieu est de votre bord, pourquoi laisse-t-il détruire Saragosse ?
    Il éclata d’un mauvais rire et me lança :
    – Mécréant ! apprends que Son intention est d’éprouver notre courage et de transformer notre foi en énergie.
    Face à l’expression de ces évidences aveugles qui sont l’arme de la religion, je me contentai de hausser les épaules. Il quitta la chiourme, s’avança vers moi, comme s’il souhaitait poursuivre l’exposé de ses arguments, quand, sortant unecroix de sa ceinture de corde, il la leva sur moi pour m’en frapper le visage. Je m’écriai en dégainant mon sabre :
    – Un pas de plus et tu es mort !
    – Eh bien, capitán , fais-le sans hésiter ! Tu feras de moi un martyr de la foi. Souviens-toi de mon nom : Basile. Tu entendras de nouveau parler de moi !
    Il abaissa sa croix et me tourna le dos avec un sourire de mépris.

    Durant deux jours, le calme parut régner à l’Aljaferia mais, un matin, Lejeune m’apprit qu’un groupe d’une dizaine de prisonniers avait réussi à prendre le large en massacrant deux sentinelles.
    Le padre Basile était parmi eux.

    Lannes, rendu furieux par cet incident, m’en tint injustement pour responsable. Sans l’intercession de Lejeune, il m’eût mis aux arrêts. C’eût été une faute, ma présence étant utile, sinon nécessaire, à la suite des événements.
    Il restait encore à conquérir ou à détruire bon nombre d’établissements publics et religieux auxquels les défenseurs s’accrochaient désespérément, mais c’est dans les artères du centre que les combats avaient atteint la plus grande sauvagerie. Notre élan nous faisait parfois tomber dans des pièges. C’est ainsi que des éléments d’un escadron de lanciers polonais, lancé à l’assaut d’un hôtel particulier endommagé par notre artillerie, avaient été ensevelis dans une cave, hommes et chevaux mêlés, le parquet s’étant effondré.
    Je me trouvai, au cours d’une matinée, au milieu d’un groupe de chasseurs, dans une église dont j’ai oublié le nom, et m’apprêtais à descendre de cheval pour profiter de quelques minutes de

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