Mylène
Mylène qui, pour faire plaisir à sa maman, a fait installer l’instrument au milieu du salon.
Lorsqu’elle joue, les enfants ont pour consigne de se taire. Il ne leur viendrait pas à l’idée, d’ailleurs, de contrarier leur grand-mère. Parfois, sa présence suffit à glacer l’atmosphère. Peut-être le goût profond de Mylène pour le silence vient-il de là... En tout cas, Jeannette semble avoir noué un contact privilégié avec la fillette, qui l’admire et la redoute à la fois. Toutes deux ont trouvé un singulier terrain d’entente : la visite des cimetières. Entre la mamie et sa petite-fille, s’instaure également une vraie correspondance. Alors qu’elle n’a rien d’une élève modèle, Mylène s’applique dès lors qu’il s’agit d’écrire à sa grand-mère. Elle forme bien ses lettres, veille à ne laisser aucune faute d’orthographe. Là, s’enracine sans doute le sentiment que l’écriture peut être un soulagement quand le contact avec l’autre s’avère difficile. « J’ai été très gentille, alors fais ce que tu as promis, emmène-moi au cimetière », disent en substance les missives de Mylène. Au bas des pages, elle signe à l’américaine, avec des croix en guise de bisous.
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Des années plus tard, la chanteuse a maintes fois évoqué le souvenir de sa mamie Jeannette. « Dimanche prochain, je t’emmènerai dans tel cimetière, m’écrivait-elle dans des lettres que j’ai conservées. Je l’envisageais sans angoisse, comme un cadeau à lui faire, une belle chose à partager. C’est avec elle que j’ai appris que ces endroits sont certes parfois tragiques, mais jamais sinistres 45 . » Pour la petite fille, les cimetières constituent une compagnie plutôt rassurante. On peut y contempler des curiosités architecturales, y comparer les stèles, y déchiffrer les hommages gravés dans le marbre. Bref, imaginer le destin de ces êtres dont l’existence semble coincée entre deux dates. Silencieux, ces lieux sont propices, sinon à la prière, du moins à la méditation. « J’arrive tout à fait à me recentrer dans un cimetière 46 . »
Décor privilégié de son enfance, les cimetières vont hanter l’imaginaire farmerien. Deux de ses clips, Plus grandir , à ses débuts, et Regrets , le duo avec Jean-Louis Murat, seront tournés dans ces endroits mortifères – le premier à Saint-Denis, le second à Budapest. Surtout, la scénographie du premier spectacle de Mylène, en 1989, sera entièrement conçue autour d’un cimetière. Après avoir interprété L’Horloge , la chanteuse s’engouffre même dans une tombe. Cette noirceur assumée classera d’emblée Mylène parmi les icônes « gothiques ».
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Rien de morbide, pourtant, dans cette passion pour les cimetières. Du plaisir, au contraire, une forme de communication avec cette grand-mère qui fascine Mylène. Mamie Jeannette se montre également très intéressée par les choses de l’art. « Elle adorait le théâtre et la peinture 47 . » À son contact, Mylène s’intéresse à la comédie. Certains soirs, alors que ses frères et sœur sont endormis, elle se rêve actrice. Une manière d’exorciser la peur des autres qui la bloque parfois. Quand elle s’imagine sur scène, ceux qui la paralysaient se mettent à l’écouter religieusement. C’est comme une revanche. Elle n’a plus à surmonter cet effort surhumain de briser la glace.
Sa grand-mère lui montre également des reproductions de tableaux dans des livres lourds qu’elle feuillette comme des reliques. Elle lui apprend à distinguer les nuances infinies du ciel, le gris des nuages, les dégradés de vert qui donnent aux paysages leurs reliefs.
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Mylène n’a que quatorze ans quand Mamie Jeannette s’éteint, en 1975. Durant plusieurs semaines, elle se terre, inconsolable, dans un silence violent comme une colère sourde. Elle caresse parfois les touches du piano, devenu muet, mais aucune mélodie ne fait danser ses doigts. Impossible de tourner la page sans saisir le sens de tout ça. Cette femme lui a montré la voie. Elle savait se faire entendre et respecter. Surtout, elle a vécu sans rien sacrifier de ses passions.
Mylène sent confusément qu’elle partage cette exigence avec sa Mamie. Elle non plus ne veut pas d’une existence tiède et convenue. Et puis, la disparition soudaine d’un être aimé renforce encore le sentiment d’urgence qu’éprouve l’adolescente : la vie n’attend pas, il
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