Mylène
faut la prendre à bras-le-corps, sans remettre au lendemain la moindre de ses envies. Dès cet instant, l’école lui semble un insupportable carcan.
Mais il est trop tôt encore pour ruer dans les brancards.
**
Même si tout est encore un peu flou, Mylène entend rester fidèle aux valeurs que lui a transmises sa grand-mère adorée. Par la suite, elle n’aura de cesse de rechercher la compagnie des artistes. Les seuls êtres avec lesquels elle peut partager ses angoisses sans se sentir exclue ou anormale. Les seuls qui soulageront le sentiment de solitude abyssale qui la ronge.
Mais, surtout, elle veut elle-même devenir artiste. Dans quel domaine ? Il est trop tôt pour le dire. Elle aime dessiner, peindre, chanter aussi. Mais elle ne ressent aucune vocation précise. Juste l’envie de « devenir quelqu’un ». Comme un défi lancé à la mort.
9
Et Mylène devint Farmer
« Je refuse de devenir la femme que vous voulez faire de moi. Terne, insignifiante, normale. » Ce matin-là, Frances Farmer s’entretient avec Walter Freeman, le psychologue qui prétend la soigner, suite à un internement en psychiatrie décidé par sa propre mère. En signe de défi, comme pour montrer qu’elle veut rester elle-même envers et contre tous, elle écrase sa cigarette sur le cuir du bureau. Jessica Lange interprète le rôle dans Frances , le film réalisé par Graeme Clifford, en 1983. L’histoire vraie d’une actrice hors du commun qui, après avoir grandi à Seattle, a fait carrière dans les années 1930. Une ascension aussi fulgurante qu’éphémère. Récompensée par un prix d’excellence à seize ans pour avoir rédigé une brillante dissertation niant l’existence de Dieu, puis star à Hollywood affichant des sympathies communistes, Frances Farmer n’obéit qu’à un seul principe : « Toujours faire ce qu’on juge bon et se moquer éperdument des autres. »
D’où le diagnostic d’asociale qui lui colle à la peau. Pour la couler dans la norme, la psychiatrie va multiplier les tentatives. Camisole de force, traitements par électrochocs, injections d’insuline à haute dose, bains glacés prolongés... Rien n’y fait. Et Frances reste fidèle à elle-même, insoumise malgré tout. Jusqu’à ce que le bon docteur Freeman décide de la lobotomiser, afin de mettre en sourdine ses émotions. Enfonçant une longue aiguille au fond du globe oculaire, il sectionne les nerfs reliant le cortex au thalamus. L’actrice, en qui le cinéaste Howard Hawks voyait une future Marlene Dietrich, mourra seule, à cinquante-sept ans, terrassée par un cancer de l’œsophage.
**
Un destin bouleversant, qui a marqué la jeune Mylène. Elle a vingt-deux ans lorsqu’elle visionne le film dans une salle obscure. Lorsqu’il s’agit de choisir un pseudonyme, le nom de Farmer, qu’on voit à plusieurs reprises apparaître en lettres capitales sur la boîte aux lettres de la maison familiale, s’impose avec la force de l’évidence. Laurent Boutonnat, lui aussi, a été impressionné par l’œuvre de Graeme Clifford. On trouvera d’ailleurs, dans Giorgino , des séquences qui rappellent certaines scènes de Frances , notamment l’internement de Catherine au milieu des aliénées. Et cet insoutenable sentiment d’oppression qui saisit un individu doué de raison lorsqu’il est immergé au milieu des malades mentaux.
Entre Frances et Mylène, il existe une filiation manifeste. Une haine farouche de l’hypocrisie sociale, d’abord. Dans le film, l’actrice, tout auréolée de gloire, revient à Seattle, où elle est célébrée par une fête, mais elle refuse de jouer le jeu. Ainsi, tout sourire, elle envoie ses quatre vérités à une dame patronnesse qui lui prédisait, il y a peu, qu’elle « finirait en enfer ». Sur le choix de son pseudonyme, Mylène restera plutôt laconique, se contentant d’évoquer son admiration pour cette femme « complètement écrasée par Hollywood 79 » qu’elle aurait aimé interpréter au cinéma. Comme Frances, Mylène éprouve une aversion pour la lâcheté ordinaire. « Depuis mes débuts, je n’ai accepté aucune concession. La qualité que j’admire le plus, c’est l’intégrité, et je remercie la vie qui m’a permis de suivre ce chemin. »
**
Le 19 novembre 1988, lors des Victoires de la Musique, la chanteuse va prouver qu’elle n’entend pas être de ces artistes qui s’agenouillent devant la profession. Sacrée meilleure
Weitere Kostenlose Bücher