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[Napoléon 1] Le chant du départ

[Napoléon 1] Le chant du départ

Titel: [Napoléon 1] Le chant du départ Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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pour la patrie, toi, toi, et le reste du monde n’existe pas plus pour moi que s’il était anéanti.
    Et tout à coup il ne peut retenir sa douleur : « Les hommes sont si méprisables, note-t-il. Toi seule effaçais à mes yeux la honte de la nature humaine ! Je ne crois pas à l’immortalité de l’âme. Si tu meurs, je mourrai aussitôt, mais de la mort de l’anéantissement. »
     
    Pendant quelques jours, il ne peut plus lui faire porter ces lettres qui restent trop souvent sans réponse.
    Il retourne à ses cartes et à la guerre. Il quitte Milan. Il chevauche vers Mantoue, la place forte imprenable qui tient toute la Lombardie et se trouve aux portes de la Vénétie. Elle commande les routes qui, longeant le lac de Garde, conduisent au Tyrol, aux cols d’où l’on pourra déboucher sur l’Autriche. Vienne conquise comme Milan ? Pourquoi pas ?
    Il imagine. Il a adressé à ses soldats, il y a seulement quelques jours, une proclamation pour les féliciter de leurs victoires : « Soldats, vous vous êtes précipités comme un torrent du haut de l’Apennin : vous avez culbuté, dispersé tout ce qui s’opposait à votre marche. »
    Pourquoi demain ne pourraient-ils, avec lui à leur tête, dévaler les pentes des Alpes vers le Danube ?
    Il met le siège devant Mantoue. Il veille à chaque détail. Il saute de son cheval, choisit les emplacements des pièces de canon, calcule les angles de tir. Et tout à coup il chancelle, pâle, s’évanouit, épuisé. On le conduit jusqu’à sa tente. Mais il se redresse, chasse les aides de camp, reprend la plume.
    « Je te montrerai mes poches pleines de lettres que je ne t’ai pas envoyées parce qu’elles étaient trop bêtes… Écris-moi dix pages, cela seul peut me consoler un peu. »
    Il a mal. C’est une douleur lancinante qui tord le ventre, oppresse.
    « Les fatigues et ton absence, c’est trop à la fois… Tu vas revenir, n’est-ce pas ? Tu vas être ici à côté de moi, sur mon coeur, dans mes bras, sur ma bouche ! Prends des ailes, viens, viens. Un baiser au coeur et puis un plus bas, bien plus bas ! »
    Il la désire. « Mille baisers sur tes yeux, sur tes lèvres. » Et l’envie qu’il a d’elle est avivée par la jalousie qui l’obsède.
    Il écrit même à Barras : « Je suis au désespoir, ma femme ne vient pas, elle a quelque amant qui la retient à Paris. Je maudis toutes les femmes, mais j’embrasse mes bons amis. »
    Il sait donc. Et il ne veut pas savoir.
    « Tu sais que jamais je ne pourrai te voir un amant, encore moins t’en souffrir un : lui déchirer le coeur et le voir serait pour moi la même chose ; et puis si je pouvais porter la main sur ta personne sacrée… Non, je ne l’oserai jamais, mais je sortirai d’une vie où ce qui existe de plus vertueux m’aurait trompé. Je suis sûr et fier de ton amour. »
    Il s’aveugle.
    Il ne veut pas se souvenir de tous les ragots qui traînent autour de lui, du nom des amants de Joséphine qu’on lui répète et qu’il connaît : Barras, Hoche avant lui, et peut-être le palefrenier de Hoche, un gaillard immense, et Murat, et Junot, et Hippolyte Charles. Il a envie de tuer et de mourir.
    Et puis il apprend qu’elle s’est enfin mise en route vers Milan.
    L’explosion de gaieté et de ferveur en lui efface tout, rancoeurs et soupçons.
    Il entre dans la pièce où se tiennent les aides de camp, il va de l’un à l’autre. Que Marmont galope à la rencontre de Joséphine de Beauharnais, avec une escorte d’honneur.
    Il organise sa venue comme un plan de bataille. Il parcourt les pièces du palais Serbelloni, déplace les meubles et se soucie des bibelots, des tableaux, des tapis. Elle aime le luxe. Il épuise son impatience dans les ordres qu’il donne : le lit, vaste, ici, les tentures du baldaquin, bleues à galons d’or.
    On lui dit que Junot, qu’il a envoyé à Paris porter au Directoire les drapeaux pris à l’ennemi, revient avec Joséphine en compagnie du lieutenant Charles. Qu’importe ! Le temps n’est plus à la jalousie. Elle arrive, la voiture entourée par l’escorte de dragons s’immobilise dans la cour du palais Serbelloni.
    Il se précipite. Elle est là, souriante, son chien Fortuné dans les bras. Il la serre contre lui, au milieu des officiers. Il ne voit ni Junot, ni Charles. Il l’entraîne. Il voudrait qu’elle se hâte, mais elle marche à petits pas, se souciant de ses bagages, parlant de Fortuné, que ce

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