[Napoléon 1] Le chant du départ
long voyage a épuisé, comme elle. Il ferme la porte de la chambre.
Elle rit de sa fougue. Elle se laisse aimer.
Deux jours, deux jours seulement pour tenter d’aller au bout du plaisir et de ce corps qu’il serre à l’écraser, et qui le plus souvent s’abandonne, passif, paraît subir, puis tout à coup se révèle audacieux, provocant, avec une liberté dans les gestes qui fascine et effraie Napoléon comme devant un abîme dont il ne connaîtra jamais le fond.
Puis, un matin, Napoléon ceint son sabre, noue sa ceinture de général, enfonce son bicorne. Joséphine a le visage tranquille. Au coin de sa bouche, il n’avait jamais remarqué ces deux petites rides, comme les signes, sous le masque du sourire, de l’indifférence.
Et déjà, alors qu’il vient à peine de se séparer d’elle, il ressent l’absence, la perte d’elle. Il n’a rien assouvi. Il voudrait la tenir encore, mais les chevaux piaffent. Les ordres fusent. C’est la guerre qui fait entendre sa rumeur grave.
Wurmser, le général autrichien, est en marche à la tête de vingt-quatre mille hommes. Il descend le long de la rive Est du lac de Garde, vers Vérone et Mantoue. Le général Quasdonovitch suit la rive Ouest.
Les dés roulent à nouveau. Une victoire n’est jamais acquise.
Il faut quitter Joséphine.
Sait-elle ce qu’est la guerre ? Imagine-t-elle ce que je ressens ?
Son corps se prête une dernière fois à l’étreinte, puis se dégage.
Il faut se jeter dans la guerre. Elle remplit le vide.
Le 6 juillet, Napoléon écrit :
« J’ai battu l’ennemi. Je suis mort de fatigue. Je te prie de te rendre tout de suite à Vérone, car je crois que je vais être bien malade. Je te donne mille baisers. Je suis au lit. »
Mais peut-on rester couché quand on commande en chef à des milliers d’hommes qui marchent vers la mort ?
Il se bat donc.
Et le soir il écrit.
« Viens me rejoindre ; et au moins qu’avant de mourir nous puissions dire : nous fûmes heureux tant de jours ! »
Le canon tonne.
« Nous avons fait six cents prisonniers, et nous avons pris trois pièces de canon. Le général Brune a eu sept balles dans ses habits sans avoir été touché par aucune, c’est jouer de bonheur.
« Mille baisers aussi brûlants que tu es froide. »
24.
Il est seul.
Et cependant une foule d’hommes l’entoure.
Des soldats crient son nom : « Vive Bonaparte ! », d’autres saluent familièrement « notre petit caporal ».
Des aides de camp bondissent de cheval, apportent un pli.
Des tuniques blanches de fantassins autrichiens ont été vues dans les faubourgs de la ville. « Il faut quitter Vérone, général. » Les avant-gardes de Wurmser sont donc déjà parvenues à ce point. D’autres courriers annoncent que plus à l’ouest les troupes du général Quasdonovitch ont atteint Brescia. Les divisions de Masséna et d’Augereau ont reculé. Des uhlans s’aventurent loin en avant. Ils sont dans les environs de Mantoue. Ils attaquent les convois et les voitures isolées.
Napoléon sent dans l’attitude des officiers, il voit sur le visage des soldats l’inquiétude et l’angoisse, la peur de la défaite, la tentation de la fuite. Dans quelques heures, tout ce qu’il a gagné depuis le début de la campagne d’Italie sera peut-être perdu.
Il voudrait tant pouvoir un moment se laisser aller, trouver un appui, solliciter un conseil. Il a la sensation d’être écrasé par toutes les décisions qu’il doit prendre. Il doute de lui-même.
Il convoque les généraux qui sont sous ses ordres. Peut-être est-ce une erreur ? Mais Wurmser et Quasdonovitch avancent, victorieux.
Augereau, Masséna, Sérurier entrent dans la pièce, et immédiatement Napoléon sait qu’il ne peut rien attendre d’eux.
Commander en chef, c’est être seul.
Alors, calmement, comme s’il ne sentait pas en lui cette anxiété qui le ronge, il dit que la force d’une armée, « comme nous l’a enseigné Guibert », est le produit de la vitesse par la masse. Il faut donc déplacer les troupes à grande allure. Marcher de nuit et de jour afin de surprendre l’ennemi. Le battre. Et marcher, marcher encore jusqu’à un autre objectif.
Il décide donc de lever le siège de Mantoue, ce qui étonnera et troublera les Autrichiens, puis d’aller vers le nord avec toutes les troupes afin de battre Quasdonovitch et de revenir affronter Wurmser, qui s’imaginera avoir emporté une grande victoire en
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