[Napoléon 3] L'empereur des rois
cependant elle m’a paru insipide. Tout ce qui n’est pas vous ne m’intéresse plus. Je sens qu’il ne me manquera plus rien lorsque je vous aurai ici. »
Il veut la prendre tout entière. Que rien d’elle, ni le corps, ni l’esprit, ni les rêves, ne lui échappe.
À peine a-t-il fini d’écrire, ce vendredi 23 mars, qu’il commence une autre lettre. « L’Empereur ne peut être content et heureux que du bonheur de sa Louise », écrit-il.
À peine a-t-il terminé qu’une nouvelle dépêche arrive. « Le télégraphe me dit que vous êtes enrhumée. Je vous en conjure, soignez-vous. J’ai été ce matin chasser ; je vous envoie les quatre premiers faisans que j’ai tués comme signe de redevance bien dû à la Souveraine de toutes mes plus secrètes pensées. Pourquoi ne suis-je pas à la place du page à prêter serment d’hommage lige, un genou à terre, mes mains dans les vôtres, toutefois recevez-le en idée. En idée aussi je couvre de baisers vos belles mains… »
Marie-Louise approche. Le mardi 27 mars, elle est attendue à Soissons.
Folie que d’attendre. Impossible de patienter. Il appelle Constant. Il veut, sur son habit de colonel des chasseurs de la Garde, passer la redingote qu’il a portée à Wagram. C’est ce jour-là avec la victoire qu’il a arraché Marie-Louise.
Il appelle Murat, dont l’épouse Caroline est en compagnie de Marie-Louise. Allons. Une calèche est prête. On s’élance.
Il harcèle les cochers. Aux relais, sous une pluie battante, il descend pour faire hâter les postillons. À l’entrée du village de Courcelles, une roue de la calèche se brise. Il court sous l’averse jusqu’au porche de l’église.
Il aime ces imprévus, cette pluie et ce vent qu’il faut affronter, cette rencontre qui fracasse le protocole, surprend Murat et les soldats de l’escorte.
Il va et vient au bord de la route, guettant l’arrivée du cortège. On imaginait donc qu’il était quoi ? Louis XVI attendant sagement sur son trône à Compiègne ? Il est Napoléon.
Il voit approcher les chevaux blancs de la voiture de Marie-Louise. Il se place au milieu de la route et bondit vers la calèche qui vient de s’arrêter. Un écuyer baisse le marchepied. Il se précipite. Il reconnaît Caroline Murat, qui murmure :
— Madame, c’est l’Empereur.
C’est donc elle, Marie-Louise. Elle est parfumée, rose, si jeune. Il lui prend les mains, les embrasse. Si fraîche. Il rit. Il la détaille. Il sent contre lui cette lourde poitrine, ces hanches grasses, ce corps souple, à prendre. Elle a le teint vif, les cheveux d’un blond cendré. Il ne l’imaginait pas si pleine, si forte. Et il a envie de la presser contre lui comme un butin charnu. Il reconnaît ces traits qui l’avaient frappé sur les portraits qu’il avait vus d’elle, cette grosse lèvre autrichienne. Elle est une bonne terre, grasse, féconde. Il en est sûr. Il a envie de la lutiner, de rire.
Il donne l’ordre qu’on brûle l’étape de Soissons. Tant pis pour le banquet, pour ces notables qu’on aperçoit sous les auvents et qui attendent la souveraine pour prononcer leurs compliments. Il rit. Ce qu’il veut, c’est un lit au plus vite.
La nuit s’avance. Il la serre, la cajole. Elle est effarouchée, puis il sent qu’elle s’abandonne. Elle rit aussi.
Un lit, vite.
Il est 10 heures du soir quand on arrive à Compiègne. Il voit toute la cour qui se presse au pied du grand escalier, qui s’apprête à les entourer, à les étouffer de compliments et de révérences. Il fait un geste, il traverse la foule, gagne une petite salle à manger et dîne avec seulement Caroline et Marie-Louise.
Elle est plus belle qu’il ne l’imaginait. Beauté du diable ! Mais saine, ronde, rose, fraîche, neuve comme une source qui vient de jaillir.
Une Habsbourg de dix-huit ans, c’est cela !
Il la veut cette nuit.
— Quelles instructions avez-vous reçues de vos parents ? lui demande-t-il.
Il aime son regard candide, sa naïveté.
— D’être à vous tout à fait et de vous obéir en toute chose, murmure-t-elle dans son français à l’accent rugueux.
Cette obéissance avouée l’excite.
À moi, cette femme, à moi tout de suite !
Elle dit en baissant la tête que le mariage religieux n’a pas eu lieu. Il appelle le cardinal Fesch, qui la rassure, la persuade que tout est en ordre.
Napoléon l’entraîne vers l’hôtel de la Chancellerie, proche du
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