[Napoléon 3] L'empereur des rois
château. C’est là qu’il aurait dû dormir, seul. Avec Marie-Louise à quelques centaines de mètres ? Il n’est pas homme à accepter cela.
Il la laisse quelques instants avec Caroline. Elle est vierge. Elle ne sait rien. On lui a même assuré que durant toute sa vie on a écarté d’elle jusqu’aux animaux mâles.
Je suis le premier mâle .
Il entre dans la chambre.
Elle est à moi, comme je le veux .
Il la laisse dormir dans le jour qui se lève.
Il voudrait clamer sa victoire, son triomphe. Il sort de la chambre.
Il s’approche de Savary, son aide de camp qui attend dans le salon proche de la chambre.
Il lui tire l’oreille, rit.
— Mon cher, dit-il, épousez une Allemande, ce sont les meilleures femmes du monde, douces, bonnes, naïves et fraîches comme des roses.
Il passe les journées du mercredi 28 et du jeudi 29 mars 1810 près d’elle, dans ce château de Compiègne. Il se fait servir à déjeuner dans la chambre.
Il sent les regards curieux lorsqu’il se présente avec elle pour le concert qui est organisé dans la grande salle du château. Il faut bien la présenter à la cour. Mais il a hâte de la retrouver pour lui seul, de l’étonner encore, de la faire crier et rire. De lui faire découvrir le corps à corps de l’amour. Déjà il l’a sentie, après quelques minutes de surprise et de douleur, ravie de ce qu’elle avait éprouvé.
Il n’a jamais vécu cela. Il est le maître qui enseigne. Il n’a plus de hâte. Il lit sur le visage de Pauline Borghèse un étonnement un peu sarcastique. Deux jours sans quitter Marie-Louise ! Il hausse les épaules.
— Il m’arrive une femme jeune, belle, agréable, dit-il. Ne m’est-il donc pas permis d’en témoigner quelque joie ? Ne puis-je, sans encourir le blâme, lui consacrer quelques instants ?
Il se penche vers Pauline, elle dont la vie tumultueuse est une succession de plaisirs.
— Ne m’est-il donc pas permis, à moi aussi, de me livrer à quelques instants de bonheur ?
Avant de rentrer dans la chambre de Marie-Louise, il dicte rapidement quelques lignes à François I er , empereur d’Autriche.
« Monsieur mon Frère et Beau-Père, la fille de Votre Majesté est depuis deux jours ici. Elle remplit toutes mes espérances et depuis deux jours je n’ai cessé de lui donner et d’en recevoir des preuves des tendres sentiments qui nous unissent. Nous nous convenons parfaitement.
« Je ferai son bonheur, et je devrai à Votre Majesté le mien.
« Nous partons demain pour Saint-Cloud et, le 2 avril, nous célébrerons la cérémonie de notre mariage aux Tuileries. »
34.
Il a voulu qu’éclatent les salves d’artillerie et que retentissent les fanfares au moment de son arrivée au château de Saint-Cloud avec Marie-Louise, ce vendredi 30 mars 1810, un peu après 17 heures.
Il la regarde. Depuis qu’à la porte Maillot toute la cavalerie de la Garde a entouré leur voiture, elle a cette expression étonnée où se mêlent l’effroi et le ravissement. Il aime la surprendre.
À Stains, quand ils sont entrés dans le département de la Seine, il y avait foule pour les accueillir : des courtisans, des dames du palais, des curieux. Et le préfet Frochot voulait lire un discours de bienvenue. Napoléon l’a interrompu et a donné ordre de repartir aussitôt. Elle a écarquillé les yeux comme une enfant devant laquelle on fait un tour de magie. Il veut être pour elle cet homme de tous les pouvoirs. Le magicien qui lui donne tous les plaisirs, qui la fait entrer dans un monde inconnu dont il détient toutes les clés.
Il lui saisit la main et l’aide à descendre de voiture. Les canons tonnent. Les tambours roulent. Il passe lentement avec elle devant ses vieux grenadiers. C’est sa plus belle victoire. Il a conquis la jeune fille de l’empereur ennemi, du chef qu’ils ont battu. Marie-Louise, c’est le butin de Wagram. Il faut qu’ils la voient.
Pourtant il a hâte de se retrouver seul avec elle. C’est la quatrième nuit qui commence, mais il a le même ravissement. Elle se transforme sous ses caresses. Il la fait naître femme. Et c’est lui qu’elle surprend par ses curiosités et ses audaces naïves. Il ne pense plus à rien. Parfois, dans un éclair, il se souvient qu’avant, même avec une femme désirée, même avec Joséphine la rouée, celle qui lui a fait découvrir ce que peut faire une femme quand son corps tout entier devient des lèvres, il
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