[Napoléon 3] L'empereur des rois
En Espagne, où ses maréchaux ne réussissent pas à mettre fin à l’insurrection et à l’action des troupes de Wellington. Au nord de l’Europe, surtout, où les navires anglais continuent de pénétrer dans la mer Baltique avec la complicité de Bernadotte, qui conduit de plus en plus souvent, en souverain, la politique de la Suède.
Sont-ils encore français, ces hommes qui sont devenus ce qu’ils sont grâce à moi ?
Ils ne rêvent que de durer après moi. Ils ne se soucient pas de mon fils. Ils pensent à leurs royaumes. Murat ne vient-il pas de remplacer partout le pavillon impérial par le drapeau de Naples ?
Il dicte d’un ton rageur une lettre pour Murat : « Tous les citoyens français sont citoyens du royaume des Deux-Siciles… Vous vous êtes entouré d’hommes qui ont en haine la France et qui veulent vous perdre… Je verrai par votre manière d’agir si votre coeur est encore français. »
Ces hommes-là ne mesurent pas l’énergie qui m’habite. J’ai quarante-deux ans ce 15 août 1811, mais je me sens capable de briser tous mes ennemis .
Il veut voir Caulaincourt, redevenu grand écuyer, afin qu’il prépare un voyage d’inspection des ports de la Belgique et de la Hollande, dont le but est d’apprécier, après la visite de Cherbourg, l’état des défenses face à l’Angleterre, et les moyens de préparer une flotte pour l’attaquer.
Quant à la Russie, qu’elle prenne garde !
Le vendredi 15 août à midi, il s’avance dans la salle du Trône des Tuileries. Les canons tonnent. Il passe lentement au milieu de la cour, puis, d’un signe, il indique au grand chambellan qu’il peut faire entrer les membres du corps diplomatique. Il attend que les ambassadeurs soient rangés en cercle. Et il se dirige aussitôt vers le prince Kourakine, ambassadeur de Russie, qu’entourent le prince Schwarzenberg, ambassadeur d’Autriche, et l’ambassadeur d’Espagne.
Il faut savoir acculer l’adversaire, le contraindre à se démasquer. Il est calme, maître de lui, mais la colère est une arme dont il veut user.
— Vous nous avez des nouvelles, prince ? demande-t-il.
La chaleur est étouffante. Kourakine est déjà en sueur sous son uniforme de parade couvert d’or et de diamants.
— Vous avez été battus par les Turcs, continue Napoléon. Vous l’avez été parce que vous manquiez de troupes, et vous en manquiez parce que vous avez envoyé cinq divisions de l’armée du Danube à celle de Pologne, pour me menacer.
Kourakine paraît s’étouffer, le visage rouge.
Je parle cru. Ma force vient de mon refus d’utiliser la langue morte des diplomates. Je sais que cent cinquante navires anglais ont été accueillis dans les ports russes et qu’ils y ont débarqué leurs marchandises qui vont infester l’Empire .
— Je suis comme l’homme de la nature, ce que je ne comprends pas excite ma défiance, reprend-il.
Il élève la voix.
Il faut que la cour et les ambassadeurs entendent l’avertissement. Ma colère est un acte .
— Je ne suis pas assez bête pour croire que ce soit le duché d’Oldenburg qui vous occupe. Je commence à penser que vous voulez vous emparer de la Pologne.
Kourakine balbutie des phrases incompréhensibles, le visage de plus en plus rouge.
— Quand même vos armées camperaient sur les hauteurs de Montmartre, continue Napoléon, je ne céderais pas un pouce du territoire varsovien dont j’ai garanti l’intégrité. Si vous me forcez à la guerre, je me servirai de la Pologne comme d’un moyen contre vous.
Il s’éloigne de quelques pas.
— Je vous déclare que je ne veux pas la guerre, martèle-t-il. Et je ne vous la ferai pas cette année, à moins que vous ne m’attaquiez. Je n’ai pas de goût à faire la guerre dans le Nord, mais, si la crise n’est pas passée au mois de novembre, je lèverai cent vingt mille hommes de plus ; je continuerai ainsi pendant deux ou trois ans, et, si je vois que ce système est plus fatigant que la guerre, je vous la ferai, et vous perdrez toutes vos provinces polonaises.
Il s’approche de Kourakine, parle tout à coup sur un ton de douceur, d’une voix tranquille.
— Soit bonheur, soit bravoure de mes troupes, soit parce que j’entends un peu le métier, j’ai toujours eu des succès, et espère en avoir encore si vous me forcez à la guerre. Vous savez que j’ai de l’argent et des hommes. Vous savez que j’ai huit cent mille hommes, que chaque année met à ma
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