[Napoléon 3] L'empereur des rois
qu’il les enveloppe de cajoleries.
Il sourit.
— Moi, je suis un vieux renard, je connais les Grecs.
Il s’approche de Caulaincourt.
— Quel parti prendriez-vous ?
— Le maintien de l’alliance, Sire ! C’est le parti de la prudence et de la paix.
Comment Caulaincourt ne voit-il pas que le tsar a rompu avec l’esprit de Tilsit ?
— Vous parlez toujours de la paix ! s’exclame Napoléon. La paix n’est quelque chose que quand elle est durable et honorable. Je n’en veux pas une qui ruine mon commerce comme a fait celle d’Amiens. Pour que la paix soit possible et durable, il faut que l’Angleterre soit convaincue qu’elle ne trouvera plus d’auxiliaires sur le Continent. Il faut donc que le colosse russe et ses hordes ne puissent plus menacer le Midi d’une irruption.
Caulaincourt me parle encore de la Pologne que je voudrais rétablir !
— Je ne veux pas la guerre ! Je ne veux pas la Pologne, mais je veux que l’alliance me soit utile, et elle ne l’est plus depuis qu’on reçoit les neutres.
Napoléon s’éloigne. Caulaincourt évoque les propos d’Alexandre. « Notre climat, notre hiver feront la guerre pour nous, a dit le tsar. Les prodiges ne s’opèrent chez vous que là où est l’Empereur, et il ne peut pas être partout et des années loin de Paris. »
Il pense aux marécages de Pologne, à la bataille d’Eylau. À la boue et à la neige.
Je ne veux pas la guerre .
— Alexandre est faux et faible, dit Napoléon. Il a le caractère grec. Il est ambitieux. Il veut la guerre, puisqu’il se refuse à tous les arrangements que je propose.
Il s’interrompt.
— C’est le mariage avec l’Autriche qui nous a brouillés.
Caulaincourt secoue la tête.
— La guerre et la paix sont entre vos mains, Sire, dit-il. Je supplie donc Votre Majesté de réfléchir, pour son propre bonheur et pour celui de la France, qu’elle va choisir entre les inconvénients de l’une et les avantages bien certains de l’autre.
— Vous parlez comme un Russe, monsieur le duc de Vicence.
Napoléon tourne le dos à Caulaincourt.
Qui peut empêcher le mouvement des choses ?
Napoléon s’interroge quand il entend, quelques jours plus tard, le dimanche 9 juin, les salves d’artillerie qui saluent le départ du cortège impérial vers Notre-Dame.
Il pense aux canons qui roulent en ce moment sur les chemins d’Allemagne pour renforcer les troupes. Il s’assied aux côtés de Marie-Louise dans le carrosse qui a servi au sacre. Il voit, au moment où la voiture s’ébranle, le carrosse dans lequel se tient Mme de Montesquiou portant le roi de Rome sur ses genoux.
Il regarde la foule silencieuse, énorme, massée derrière la haie des troupes. Il est soucieux. Personne n’applaudit, comme si cette foule était écrasée par la splendeur du cortège qui conduit le roi de Rome vers les fonts baptismaux.
Le peuple imagine-t-il comme moi des lendemains de guerre ?
Napoléon avance lentement dans la nef où se pressent les dignitaires. Lorsque son fils passe devant lui, il arrête Mme de Montesquiou, prend l’enfant, l’embrasse trois fois et l’élève à bout de bras au-dessus de sa tête.
Alors les acclamations déferlent : « Vive l’Empereur ! Vive le roi de Rome ! »
Il est joyeux quelques instants.
Dans le carrosse qui le conduit, après le baptême, de Notre-Dame à l’Hôtel de Ville, il retrouve son inquiétude.
Les chevaux de l’attelage piaffent, hennissent, sont difficiles à maîtriser.
Tout à coup, un choc. Les traits viennent de casser.
Des écuyers se précipitent pour les réparer.
Il descend du carrosse.
Il va falloir attendre.
Il n’aime pas cet incident, ce présage.
38.
La chaleur étouffante de ce dimanche 23 juin 1811 le rend nerveux.
Il est assis sous un dais, dans les jardins du château de Saint-Cloud. Il se tourne vers Marie-Louise. Des gouttes de sueur coulent sur le visage de l’Impératrice. Ses mèches sont collées à son front et à ses tempes. Elle respire bruyamment comme quelqu’un qui va s’assoupir. Il l’observe. Elle ne s’est pas remise des fatigues de l’accouchement. Elle a perdu des cheveux, son corps s’est affaissé. Le voyage à Cherbourg semble l’avoir épuisée. Et, depuis le retour à Saint-Cloud, les fêtes se sont succédé. Elles sont nécessaires.
Il entend les cris de la foule rassemblée dans le parc qui commence à s’illuminer alors que la nuit tombe sans apporter de
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