[Napoléon 3] L'empereur des rois
ajoute d’une voix forte :
— Nous aurons ensuite des années de repos et de prospérité pour nous et nos enfants, après tant d’années de fatigue, de gêne mais aussi de gloire.
Sur le seuil de son cabinet de travail, il ajoute :
— Quand nous en aurons fini avec la guerre, et Dieu veuille que ce soit bientôt, il faudra mettre la main à la besogne, car nous n’avons rien fait encore que de provisoire.
Maintenant il peut partir, courir les routes poussiéreuses du Nord, revoir Boulogne, Dunkerque, visiter les fortifications, monter à bord du Charlemagne en rade de Flessingue, passer plusieurs jours en mer car la tempête qui s’est levée le mardi 24 septembre se prolonge, faisant chasser tous les navires sur leurs ancres.
Il est seul. C’est la première fois depuis leur rencontre qu’il a laissé Marie-Louise. Elle a pleuré. Elle s’est accrochée à son cou, petite fille. Elle a dit à la duchesse de Montebello, et il l’a entendue : « Il m’abandonne. » Elle doit le rejoindre à Anvers, et ils continueront ensemble le voyage jusqu’à Amsterdam. Il veut que ces Hollandais qui sont maintenant des citoyens de l’Empire voient leurs souverains.
Il lui écrit chaque jour. De Boulogne : « Ma chère Louise, j’ai eu une chaleur affreuse et bien de la poussière… J’espère que tu auras été raisonnable et que tu dors bien à cette heure. Il est minuit, je vais me coucher. Adieu, mon amie, un bien tendre baiser. Nap. »
De Boulogne encore : « Je te prie de bien te ménager. Tu sais que la poussière et la chaleur te sont contraires. J’ai fait chasser la croisière anglaise à quatre lieues au large… Adieu, Louise, tu as raison de penser à celui qui n’espère qu’en toi. Nap. »
Il trace ces mots rapidement. Elle a appris à lire son écriture déformée. Il faut qu’elle pense à lui. Il faut qu’il soit présent chaque jour. Il fait son métier de soldat et d’empereur. « Tu sais combien je t’aime, lui répète-t-il, tu as tort de penser que des objets d’occupation puissent rien diminuer des sentiments que je te porte. »
Il visite les forts. Il visite les navires de ses escadres, « vaisseau par vaisseau ». Il veut tout voir. Il ne faut pas, s’il s’est engagé au nord contre les Russes, que les Anglais puissent, comme ils l’ont tenté déjà, débarquer ici.
Il fait son devoir d’empereur, et chaque jour il écrit, parce que c’est son devoir de « fidèle époux ».
C’est cela qu’il est.
Il se souvient des lettres qu’il écrivait à Joséphine.
Il ne peut pas, il ne désire pas écrire à Marie-Louise des phrases de passion comme celles qui lui desséchaient la bouche lorsqu’il les écrivait d’Italie pour Joséphine.
Il dit : « Ménage-toi et porte-toi bien. Tu ne doutes pas de tous les sentiments de ton fidèle époux. »
Et parce qu’il a exigé qu’on lui donne chaque jour des nouvelles du roi de Rome, c’est lui qui écrit : « Le petit roi se porte bien. »
Puis il ajoute : « Je ne suis jamais fâché contre toi, parce que tu es bonne et parfaite et que je t’aime. Les étoiles brillent, la journée que je vais passer au bord de mon escadre sera belle. »
Il retrouve Marie-Louise à Anvers, épuisée par le voyage. Mais, la nuit, il aime sa lassitude consentante.
Le matin, il la regarde dormir quelques minutes, puis il part visiter des chantiers navals ou bien assister aux manoeuvres des troupes, à Amsterdam ou à Utrecht.
Elle somnole au théâtre ou lors des réceptions quotidiennes. Elle ne manifeste sa gaieté et sa joie que lorsqu’ils se promènent seuls, l’escorte se tenant à distance.
Mais le temps des loisirs est fini. Il doit faire son métier. Et les festivités sont aussi des tâches. Il faut qu’elle les accomplisse avec lui, comme lui. Qu’elle réponde aux acclamations des foules qui, à Amsterdam, les attendent.
Et puis c’est à nouveau la route, parce que les dépêches sont arrivées de Paris et qu’il faut rentrer en brûlant les étapes. Napoléon, quand elle demande à déjeuner, à faire halte, a d’abord un mouvement d’humeur, puis il cède en l’embrassant.
Mais on repart à l’aube et on arrive à Saint-Cloud le lundi 11 novembre 1811, à 18 heures.
Napoléon ignore les dignitaires, les ministres, les officiers qui attendent au bas du grand escalier. Il se précipite. À l’entrée du grand vestibule, il a vu son fils que la gouvernante tient
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