[Napoléon 4] L'immortel de Sainte-Hélène
vous aurez Louis XVIII ramené par les Alliés.
Mais après tout, s’ils le veulent ! Il est déjà sorti de scène.
Il commence à trier ses derniers papiers. Il veut quitter l’Élysée pour la Malmaison. Ils sont capables de le livrer aux Alliés. Carnot se fait annoncer.
Cet homme qui vota contre l’Empire est venu à moi au moment des difficultés, après la campagne de Russie .
Carnot est bouleversé. Il parle avec émotion.
— N’allez pas en Angleterre, dit-il. Vous y avez excité trop de haine, vous seriez insulté par les boxeurs 1 . N’hésitez pas à passer en Amérique. De là, vous ferez encore trembler vos ennemis. S’il faut que la France retombe sous le joug des Bourbons, votre présence dans un pays libre soutiendra l’opinion nationale.
Cet homme est un patriote. Comme La Bédoyère, comme ce peuple qui crie .
— Adieu, Carnot, dit Napoléon en le serrant contre lui. Je vous ai connu trop tard.
Il revient à sa table de travail, écrit une demande officielle pour que l’on mette à sa disposition à Rochefort deux frégates afin de gagner les États-Unis. Puis, lentement, regardant autour de lui, il se dirige vers le perron.
La rumeur est énorme. La foule a vu la voiture à six chevaux. Elle crie : « Ne nous abandonnez pas ! »
Il baisse la tête. Est-il encore celui que l’on réclame, que l’on acclame ? Il lui semble que c’est à un autre que l’on s’adresse.
Ce qui est fait est fait.
Il sortira par la porte des jardins. Les aides de camp prendront la voiture d’apparat pour détourner l’attention de la foule. Il se retourne, regarde le palais. Puis, dans la voiture qui se dirige vers Chaillot, il se penche afin d’apercevoir les échafaudages qui entourent l’Arc de triomphe en construction.
Il sait. Il ne reverra plus cela. Mais ces avenues, cette route de Rueil, ces allées du parc de la Malmaison, dans lesquelles maintenant il marche, ces salons, ces chambres de la résidence, c’est toute sa vie qui défile, qui se rassemble en ces derniers moments, rappelant les premiers jours de gloire.
Il passe devant un miroir. Il est cet homme gros, chauve, au teint jauni, dont les traits sont tirés par la fatigue. Où est le maigre Premier Consul ? Mort, comme Joséphine, comme Duroc, comme Bessières, comme Lannes. Disparu, comme mon fils, comme Marie-Louise .
Il va d’une pièce à l’autre. Entre dans la chambre de Joséphine, ressort, s’assoit près d’Hortense dans le jardin. Il murmure :
— Je ne puis m’accoutumer à habiter ce lieu sans elle. Il me semble qu’elle va surgir au détour d’une allée, derrière un massif de roses.
Il se lève, marche seul dans ce jardin où il s’est tant de fois promené en compagnie de tous ceux qui bâtissaient avec lui l’Empire, préparaient les campagnes victorieuses et qui, hier courtisans, ministres dévoués, sont aujourd’hui morts ou ralliés à ses ennemis.
Pas de regrets. Simplement la mesure du temps, la certitude que le destin est accompli, qu’il ne peut pas recommencer.
Il faut maintenant préparer ce qui vient. Qu’on demande à Barbier, le bibliothécaire, des ouvrages sur l’Amérique et un état particulier de tout ce qui a été imprimé sur les diverses campagnes des armées qu’il a commandées depuis vingt ans.
Voilà un but pour cette nouvelle vie, où qu’elle se déroule. Combattre par l’esprit, revivre par le mouvement de la mémoire et de la pensée et échapper à l’inaction. Il sent un flux d’énergie en lui. Il dicte la dernière proclamation à la Grande Armée :
« Soldats, je suivrai vos pas quoique absent. Vous et moi, nous avons été calomniés. Des hommes indignes d’apprécier vos travaux ont vu, dans les marques d’attachement que vous m’avez données, un zèle dont j’étais le seul objet : que vos succès futurs leur apprennent que c’était la patrie par-dessus tout que vous serviez en m’obéissant, et que si j’ai quelque part à votre affection je le dois à mon ardent amour pour la France, notre mère commune. »
Il est ému.
Connaîtront-ils ce texte, mes soldats ? Fouché et les autres tâchent d’étouffer ma voix, qui les inquiète encore. Les manifestations en ma faveur continuent à Paris. Ils doivent trembler .
Il reprend :
« Soldats, sauvez l’honneur, l’indépendance des Français : soyez jusqu’à la fin tels que je vous ai connus depuis vingt ans, et vous serez invincibles. »
Il est
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