[Napoléon 4] L'immortel de Sainte-Hélène
jour depuis des années et qui veulent ma perte ? Ils chercheront à me livrer pour montrer leur servilité. Et Fouché voudra ainsi faire oublier qu’il est un terroriste et un régicide, et qu’il a traqué pour moi les royalistes tant qu’il a cru à la solidité de l’Empire .
Je ne veux leur faire cadeau ni de ma mort ni de ma dignité.
Mais que décider ?
Je n’ai plus de certitude, je ne vois plus de voie droite et ascendante .
Je vois des marécages, et le risque du ridicule et du sordide. Ou bien l’échec d’une aventure désespérée .
Il fait quelques pas hors du bâtiment, et aussitôt il entend les cris de la foule. On l’acclame encore. On crie : « Ne nous abandonnez pas ! »
Il reçoit une délégation des habitants et des soldats. Ces hommes l’adjurent de ne pas quitter la France, d’animer la résistance.
Il montre d’un geste des deux mains sa tenue civile.
— Mes amis, mes conseils et mes avis ont été dédaignés, rejetés. Les ennemis sont à Paris.
Il secoue la tête.
— Je ne dois pas ajouter les horreurs de la guerre civile à l’invasion étrangère.
Il faudrait donc partir au plus vite. Mais comment ? Mais où ?
Voici Joseph, anxieux mais déterminé. Et quoi que j’aie pu penser de lui, il est là, aujourd’hui, comme un frère aîné, décidé à m’aider .
Mais je suis Napoléon Bonaparte, accompagné d’une maison de soixante personnes ! Je ne suis pas un fuyard, un souverain poursuivi. J’ai décidé d’abdiquer en conscience. La loi doit me protéger .
Il reçoit Las Cases. Il apprécie depuis les temps de l’adversité cet ancien émigré, officier de marine, qui a combattu avec l’armée de Condé mais s’est rallié à l’Empire en 1806.
J’ai fait de lui un conseiller d’État. Qu’il soit mon chambellan, qu’il note mes propos s’il le veut, lui qui a obtenu un si grand succès de librairie avec un Atlas historique chronologique et géographique. J’aime voir Las Cases avec son fils Emmanuel. Las Cases veut me suivre là où j’irai .
Où irai-je ?
On a interdit au bibliothécaire Barbier de faire parvenir à Napoléon les ouvrages demandés sur l’Amérique et les campagnes de la Grande Armée.
Il remarque mille signes inquiétants. Ici et là, sur certains bâtiments publics, apparaissent les premiers drapeaux blancs. Le plus puissant des navires anglais, le Bellerophon , s’avance dans la rade et arbore la couleur royale.
Mes ennemis se rapprochent. Ils veulent me prendre au piège .
Il interpelle le général Gourgaud. Il sait qu’il peut avoir confiance en lui.
Cet artilleur est brutal, colérique, peu diplomate, mais c’est un fidèle. Il a détourné de moi, lors des combats de Brienne, une lance cosaque. Il est prêt lui aussi à m’accompagner en exil .
— Eh bien, dit Napoléon, donnez l’ordre d’équiper des embarcations pour l’île d’Aix. Je serai là, près des frégates, et me trouverai en mesure d’embarquer si les vents veulent tant soit peu favoriser cette sortie.
C’est le samedi 8 juillet 1815. Près du village de Fouras, il descend du sommet de la dune vers la plage. Toute la population est rassemblée. La mer est agitée. Pourra-t-on aller jusqu’à l’île d’Aix ?
Il se tourne, salue de la main.
— Adieu, mes amis.
Le vent porte les voix qui crient « Vive l’Empereur ». Il marche lentement. Il quitte le sol de la France continentale. Il grimpe sur les épaules d’un marin qui entre dans l’eau, le porte jusqu’au canot.
Les vagues balaient l’embarcation. On n’atteindra pas l’île. Désormais, il le sent, rien ne sera facile. Tout est contraire. Il donne l’ordre de se diriger vers l’une des deux frégates, la Saale .
Il monte l’échelle de coupée. Le navire arbore encore la flamme tricolore. Les officiers saluent, sabre au clair. Les marins sont au garde-à-vous. Mais il suffit d’un regard au capitaine Philibert pour savoir que l’homme est embarrassé. Et il exécuterait l’ordre de son ministre lui demandant d’arrêter l’Empereur.
Cette frégate, ce peut-être une prison .
Il arpente le pont, la cabine mise à sa disposition. Il veut, dès que le temps le permettra, aller visiter l’île d’Aix.
Il y débarque le dimanche 9 juillet. Il s’enfonce dans la terre meuble. C’est le sol de France. Peut-être est-ce la dernière fois qu’il le foule. On l’acclame encore. Il passe les troupes en revue puis visite les
Weitere Kostenlose Bücher