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[Napoléon 4] L'immortel de Sainte-Hélène

[Napoléon 4] L'immortel de Sainte-Hélène

Titel: [Napoléon 4] L'immortel de Sainte-Hélène Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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dit le général.
    Je me détourne. Je ne veux pas entendre cela. L’autre pièce est commencée .
     
    Il descend dans les jardins, se promène d’un pas tranquille dans les allées. Les cris de « Vive l’Empereur » viennent toujours battre les grilles. Ils enflent même dans la nuit qui tombe, et les voix expriment un enthousiasme sauvage, une sorte de fureur. C’est comme sur un champ de bataille avant l’attaque. « Vive l’Empereur ! »
    Il va vers Benjamin Constant qui approche dans une allée. L’écrivain est respectueux, attentif. Ce libéral ne m’a pas aimé, mais il a de l’indépendance d’esprit. Il est comme moi maintenant, en scène et hors du jeu .
    — Il ne s’agit plus à présent de moi, commence Napoléon. Il s’agit de la France. On veut que j’abdique. A-t-on calculé les suites inévitables de cet abdication ? Me repousser quand je débarquais à Golfe-Juan, je l’aurais conçu, m’abandonner aujourd’hui, je ne le conçois pas. Ce n’est pas quand les ennemis sont à quelques lieues qu’on renverse un gouvernement. Je fais partie maintenant de ce que l’étranger attaque, je fais donc partie de ce que la France doit défendre. En me livrant, elle se livre elle-même. Elle se reconnaît vaincue.
    Il s’arrête, fixe longuement Benjamin Constant.
    — Ce n’est pas la fierté qui me dépose, c’est Waterloo, c’est la peur, une peur dont vos ennemis profiteront.
    Il écoute et il voit Constant qui tourne la tête vers les Champs-Élysées. C’est une énorme rumeur. On distingue les cris qui sont scandés : « À bas les Bourbons ! À bas les prêtres ! Vive Napoléon ! »
    L’Empereur recommence à marcher. Il pourrait…
    — Vous le voyez, dit-il, ce ne sont pas ceux-là que j’ai comblés d’honneurs et de richesses. Que me doivent-ils ? Je les ai trouvés pauvres et je les ai laissés pauvres. Mais l’instinct de la nationalité les éclaire, la voix du pays parle par leur bouche et, si je le veux, si je le permets, dans une heure, la Chambre rebelle n’existera plus.
    Il dévisage Constant qui reste silencieux.
    — Si je le veux, répète-t-il. Mais non, la vie d’un homme ne vaut pas ce prix ; je ne suis pas revenu de l’île d’Elbe pour que Paris soit inondé de sang.
     
    Il abandonne Benjamin Constant. Il s’arrête sur le perron. Il entend ces cris, ces appels qui montent dans la nuit : « Vive Napoléon ! »
    Et si son devoir était de rejoindre le peuple, de se mettre à sa tête, de chasser les représentants, de faire la levée en masse ?
    Et après ? Il ne voit l’avenir que couvert d’un voile noir. Il ne peut recommencer ni Marengo, ni Austerlitz, ni Wagram.
    Il est à l’extrémité de son destin.
    Mme la générale Bertrand se précipite vers lui :
    — Pourquoi avons-nous quitté l’île d’Elbe ? crie-t-elle.
    Elle marche près de lui en se tordant les doigts. Elle est fille, dit-elle, du général Dillon, un Irlandais. Elle est un peu anglaise.
    — Les Anglais libres et éclairés sont le seul peuple capable d’accueillir l’Empereur et capable de le comprendre, répète-t-elle.
    Il entre dans son cabinet. La table de travail est couverte de lettres. Il les ouvre, puis tout à coup les rejette sans les lire. À quoi bon ?
    Hortense apparaît, le visage décomposé, entre.
    — Vous avez sans doute dîné ? lui demande-t-il en se levant. Voulez-vous me tenir compagnie ?
    Mais il suffit de quelques minutes pour achever le dîner. Les plats lui semblent sans saveur. Il passe au salon. Il voit sa mère qui le fixe. Autour d’elle, les frères, Jérôme, Lucien, Joseph. La famille. Il les entraîne dans les jardins.
    Il ne peut même pas tenir la main d’un fils, le bras d’une épouse. Il est seul avec ceux de ses origines. Comme si rien ne s’était produit, comme si le destin lui avait déjà tout repris.
     
    C’est la nuit. Il ne dort pas. De temps à autre, des cris retentissent encore sur les Champs-Élysées.
    Le peuple est avec moi. Mais tous les autres, les représentants, les dignitaires, croient se sauver en me perdant. Il ne sert à rien de leur parler de la France. Et n’ai-je pas choisi déjà ?
    Il se lève, commence à brûler des papiers par brassées sans même les trier.
    Tout est dans ma tête. Ma mémoire et mon esprit sont mon seul bien. De cela, jamais personne ne sera le maître. De cela, je n’abdiquerai jamais .
    Il se lève. Un envoyé de la Chambre est déjà là.

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