[Napoléon 4] L'immortel de Sainte-Hélène
oublie en se réveillant. Et c’est pourtant le sentiment qu’il a eu en se levant ce matin, en découvrant Marie-Louise puis en entrant dans son cabinet de travail.
Tout est resté en place.
Dans la nuit, il a retrouvé le corps de Marie-Louise, d’abord glacé par une sorte d’effroi, comme si elle avait du mal à reconnaître cet homme qui se précipitait sur elle. Puis elle a été à nouveau cette « bonne femme allemande » si douce, si tendre. Le seul fait de la toucher l’a apaisé, a effacé toutes les fatigues du voyage, le souvenir même de ce qu’il a vécu avec des centaines de milliers d’hommes, là-bas, entre Vilna et Vilna, cette ville où, entre juin et décembre 1812 s’est ouverte et fermée la campagne de Russie.
Murat, Berthier, Eugène réussiront-ils dans cette ville à contenir les troupes de Koutousov, qui doivent être aussi épuisées, aussi meurtries et décimées que l’ont été celles de la Grande Armée ? Si Murat s’accroche à Vilna, alors, au printemps, Napoléon pourra prendre sa revanche sur les Russes, et c’est à cela qu’il pense.
Il va tendre les ressorts de la machine impériale, lever des centaines de milliers d’hommes, leur donner des fusils et des canons. Et en avril 1813 tout sera prêt. Il faudra d’ici là tenter de préserver l’alliance avec l’Autriche et réussir, si cela se peut, à retenir la Prusse de s’engager dans la guerre aux côtés des Russes.
Voilà ce que je dois faire .
Il passe parmi les dignitaires réunis. Il s’arrête devant chacun d’eux. Il les questionne sur l’état de leur administration. Puis il demande : « Pourquoi avez-vous oublié mon fils ? Pourquoi m’avez-vous cru mort ? Pourquoi n’avez-vous pas pensé à mon héritier ? »
Il cherche des yeux Frochot, le préfet de la Seine, conseiller d’État, qui, à la demande des conspirateurs, leur a offert une salle pour réunir leur gouvernement provisoire.
— Il faut, dit-il, un exemple, non sur l’homme, que je veux ménager, mais sur le conseiller d’État. Il est temps que l’on apprenne, si on l’a oublié, ce que c’est que d’être fidèle à son serment. Il faut fixer les principes sur cela.
Puis, d’un ton sévère, tout en s’éloignant de quelques pas, il ajoute :
— Des soldats timides et lâches perdent l’indépendance des nations, mais des magistrats pusillanimes détruisent l’empire des lois, des droits du trône et l’ordre social lui-même.
Il répétera cela au Sénat, qu’il compte réunir demain, dimanche 20 décembre. Mais il veut que chaque jour, à compter d’aujourd’hui, se réunissent autour de lui les conseils, celui des Ministres, celui des Finances, de l’Administration intérieure, le Conseil d’État naturellement. Il recevra le corps diplomatique le 1 er janvier 1813. Puis, dans quelques semaines, le 14 février, sera convoqué le Corps législatif. Il veut voir tout l’Empire au travail. Il doit lever trois cent cinquante mille hommes d’ici le printemps. Il songe à cent cinquante mille pour la classe 1814, et à cent mille dans les classes de 1809 à 1812, cent mille autres venant des gardes nationaux.
Il a déjà pensé à tout cela. Il ne s’agit plus que de le mettre en oeuvre dans les semaines qui viennent.
Il observe les ministres, les dignitaires. Les directives qu’il vient de donner semblent les avoir rassurés. Les hommes ont besoin d’agir, besoin de savoir qu’un chef est à la barre et les guide. Maintenant, il peut leur parler de la Russie, des désastres de la campagne. À quoi servirait de chercher à dissimuler ? Les lettres privées des soldats vont commencer à arriver en France. Et on saura ce qu’ont vécu les hommes là-bas, et on comptera les disparus.
C’est pour cela aussi que j’ai voulu tout dire dans le 29 e Bulletin de la Grande Armée. Quand chacun va connaître la vérité, il est fou de vouloir la cacher .
Il commence à parler d’un ton calme.
— La guerre que je soutiens contre la Russie, dit-il, est une guerre politique. Je l’ai faite sans animosité. J’eusse voulu épargner les maux qu’elle-même s’est faits. J’aurais pu armer la plus grande partie de la population contre elle-même en proclamant la liberté des esclaves… Un grand nombre de villages me l’ont demandé, mais je me suis refusé à une mesure qui eût voué à la mort des milliers de familles…
Puis il marche à pas lents devant les
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