[Napoléon 4] L'immortel de Sainte-Hélène
Raguse avec pour tout vêtement ses décorations ! Junot en grand uniforme de gouverneur et conduisant sa voiture à la place du cocher ! Junot qui délire, qu’on enferme, qu’on rapatrie chez lui en Bourgogne .
Junot, pire que mort. Dément .
Napoléon reste assis une partie de la nuit, puis il se redresse, regarde autour de lui, comme s’il sortait d’un long tunnel obscur. Il commence à dicter de sa voix nette les ordres, les dépêches.
« La guerre, écrit-il au général Bertrand, ne se fait qu’avec de la vigueur, de la décision et une volonté constante ; il ne faut ni tâtonner ni hésiter. Établissez une sévère discipline, et, dans les affaires, n’hésitez pas à avoir confiance en vos troupes. »
À cheval, maintenant. Voilà cinq jours que l’on est en route. À cheval, à cheval ! Le jeudi 10 juin 1813, il rentre enfin à Dresde.
« Ma bonne amie, écrit-il à Marie-Louise,
« Je suis arrivé à Dresde à quatre heures du matin. Je me suis logé dans une petite maison du comte Marcolini dans un faubourg qui a un très beau jardin, ce qui m’est très agréable. Tu sais combien le palais du roi est triste. Ma santé est fort bonne. Donne un baiser à mon fils. Tu sais combien je t’aime.
« Nap. »
Il dort plusieurs heures et il lui semble en se réveillant que voilà des jours et des jours qu’il somnole.
Il sort aussitôt dans ce faubourg de Friedrichstadt.
Des soldats vont et viennent, désoeuvrés. Croit-on que c’est la paix ?
Il continue à avancer dans la ville. Des groupes de badauds se forment en l’apercevant. Il n’y a pas d’acclamations, mais les gens paraissent saisis, le regardant passer avec un étonnement mêlé d’effroi.
Il se rend auprès du roi de Saxe, qui se précipite vers lui.
« Les bruits les plus fous ont couru, dit le souverain. On a cru Votre Majesté morte. On a assuré que l’on avait placé un mannequin à votre image dans une voiture pour dissimuler votre mort. »
Napoléon sourit. Mort ? Parfois il lui semble en effet qu’une partie de sa vie est morte et qu’il regarde l’autre continuer de chevaucher, d’ordonner, de combattre, d’espérer. Et quelquefois tout lui échappe, et il est absorbé par une sorte de rêverie, comme s’il somnolait, absent à la vie.
Il fait quelques pas dans le salon, tournant le dos au roi de Saxe qui continue de parler, évoquant ces bruits de négociations entre Russes, Prussiens, Autrichiens, Anglais.
Les informateurs du roi, en Autriche et en Prusse, assurent que Londres s’apprête à verser plus d’un million de livres à la Russie, et plus de six cent mille à la Prusse, pour les lier par un traité qui les empêcherait de cesser les combats contre l’empereur sans l’autorisation de Londres. L’Angleterre s’arroge ainsi le droit de dicter ses conditions et de choisir le moment de la paix. L’Autriche serait prête à signer ce traité, mais Metternich voudrait jouer sa propre carte, éviter de livrer l’Europe à l’Angleterre ou à la Russie. Il se présente donc en médiateur. Mais à quoi servent ces négociations de paix ouvertes à Prague, si l’Angleterre dicte sa loi ?
Napoléon se retourne. Il faudrait dire : « C’est une comédie que l’on joue pour me berner ! Et croit-on que je suis dupe ! J’entre dans le jeu pour gagner du temps ! »
Et ce temps, il ne faut pas le perdre. Chaque jour, il inspecte, il dirige des parades, des revues. Dresde doit devenir la place forte de mes armées . Que les grenadiers déboisent les abords de la ville. Qu’on crée des camps militaires sur les collines. Qu’on fortifie les portes. Qu’on élève des palissades.
Il est à cheval de l’aube à la nuit.
« Je suis monté hier à cheval depuis midi à quatre heures. Je suis revenu tout frappé de soleil », écrit-il à Marie-Louise.
Quand il rentre dans son cabinet de travail, les dépêches et les lettres sont déposées sur la table.
Il les lit tout en marchant, parfois il pousse un rugissement de fureur. Il dicte une lettre officielle à la régente, l’impératrice Marie-Louise.
« Madame et chère amie, j’ai reçu la lettre par laquelle vous m’avez fait connaître que vous avez reçu l’archichancelier étant au lit : mon intention est que, dans aucune circonstance et sous aucun prétexte, vous ne receviez qui que ce soit étant au lit. Cela n’est permis que passé l’âge de trente ans ! »
La colère ne le
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