[Napoléon 4] L'immortel de Sainte-Hélène
pourrait-il dormir ? Alors qu’on prépare son exécution ! Et imagine-t-on qu’il va se laisser étrangler ? Jusqu’au dernier moment il fera ce qu’il doit ! Et d’ailleurs, rien n’est joué, même si jamais il n’a eu à affronter une situation aussi difficile.
Mais voilà un défi digne de ma vie !
Tout ou rien. Telle est la mise .
Il se détend, s’assied. C’est le moment où il peut écrire :
« Il fait très chaud ici, tous les soirs un orage. Donne deux baisers à mon fils. Je voudrais bien que tu fusses ici, mais cela n’est pas convenable. Addio, mio amore .
« Nap. »
Mais il se reprend. Il ne peut jamais s’abandonner longtemps. Il est celui qui doit aussi réprimander, flatter, diriger. Même Marie-Louise. Et elle se plaint des lettres officielles sévères qu’il lui a adressées. Il faut donc la consoler.
« Tu ne dois pas avoir de chagrin de ce que je t’écris, parce que c’est pour te former et pour l’avenir, car tu sais que je suis content de toi et que même tu ferais quelque chose qui ne me conviendrait pas, je le trouverais tout simple. Tu ne peux jamais rien faire qui me fâche, tu es trop bonne et trop parfaite pour cela, mais je continue, car je vois quelque chose qui n’est pas mon opinion, à te le dire, sans que tu en aies de la peine. »
Il pose la plume.
Peut-être était-ce une faute que d’épouser la descendante des Habsbourg, cette Autrichienne ?
Demain il reçoit Metternich, l’ennemi, le conseiller écouté de l’empereur d’Autriche, père de ma femme .
Quel destin que ma vie !
Il a posé sur la table la lettre de l’empereur François I er , que Metternich vient de lui remettre. Il dévisage le diplomate autrichien, cet homme au maintien plein de morgue qui fut le principal artisan du mariage avec Marie-Louise. Il a eu de l’estime pour l’intelligence et l’habileté de ce prince.
Mais peut-être Metternich n’est-il qu’un de ces hommes qui confondent mensonge et grande politique.
Napoléon va vers lui d’un pas lent.
— Ainsi, vous voulez la guerre, dit-il d’une voix calme. C’est bien, vous l’aurez. J’ai anéanti l’armée prussienne à Lützen ; j’ai battu les Russes à Bautzen ; vous voulez avoir votre tour. Je vous donne rendez-vous à Vienne.
Il s’immobilise en face de Metternich.
— Les hommes sont incorrigibles, reprend-il, les leçons de l’expérience sont perdues pour eux. Trois fois, j’ai rétabli l’empereur François sur son trône ; je lui ai promis de rester avec lui tant que je vivrais ; j’ai épousé sa fille ; je me disais alors : « tu fais une folie » ; mais elle est faite.
Il élève la voix.
— Je la regrette aujourd’hui.
Il ne regarde pas Metternich, qui parle de la paix dont le sort serait entre mes mains .
— Pour assurer cette paix, poursuit Metternich, il faut que vous rentriez dans les limites qui seront compatibles avec le repos commun ou que vous succombiez dans la lutte.
— Eh bien, qu’est-ce donc qu’on veut de moi, que je me déshonore ? reprend-il d’une voix forte. Jamais ! Je saurai mourir. Vos souverains, nés sur le trône, peuvent se laisser battre vingt fois et rentrer toujours dans leurs capitales, moi, je ne le peux pas ! J’ai conscience de ce que je dois à un brave peuple qui, après des revers inouïs, m’a donné de nouvelles preuves de son dévouement et la conviction qu’il a que moi seul, je puis le gouverner. J’ai réparé les pertes de l’année dernière ; voyez donc mon armée.
— C’est précisément l’armée qui désire la paix, murmure Metternich.
— Non, ce n’est pas l’armée, ce sont mes généraux qui veulent la paix. Je n’ai plus de généraux. Le froid de Moscou les a démoralisés !
Il a un geste de mépris. Il rit.
— Mais je puis vous assurer qu’au mois d’octobre prochain, nous nous verrons à Vienne.
Il marche dans la pièce. Il faut que cette certitude l’habite, mais il doit se contraindre pour rire avec assurance.
— La fortune peut vous trahir, dit Metternich, comme elle l’a fait en 1812. J’ai vu vos soldats, ce sont des enfants. Quand cette armée d’adolescents que vous appelez sous les armes aura disparu, que ferez-vous ?
Napoléon baisse la tête, marche vers Metternich, les dents serrées.
— Vous n’êtes pas un soldat ! crie-t-il. Et vous ne savez pas ce qui se passe dans l’âme d’un soldat. J’ai grandi sur les champs de
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