Napoléon
pont. « La foudre tombait sur nos troupes », dira l ’ un des combattants. C’est un véritable carnage. Cinq fois les villages sont pris et repris. On s’entretue dans le cimetière d’Aspern, situé au pied de la petite église, dont le clocher – il demeure intact – sert d’observatoire à Masséna. Au coeur d’Essling la bataille fait rage devant la longue façade jaune Marie-Thérèse d’une ferme appartenant aux Habsbourg et qui borde toujours la rue. Un boulet est même incrusté dans l’un de ses murs. De l’autre côté de la cour, vers la campagne, le vieux grenier impérial, au bord du chemin de Gross-Enzersdorf, sert de fortin aux fantassins de la division Boudet et l’impact où les traces des balles autrichiennes peuvent encore se voir sur les deux portes de fer du bâtiment.
Sans cesse, les troupes ennemies arrivent sur le terrain, alors que du côté français les combattants n’entrent dans la danse qu’avec le débit, non d’un fleuve, mais d’un ruisseau. Aussi l’Empereur ne parvient-il pas à appliquer sa tactique habituelle : crever le centre ennemi et se rabattre sur les deux ailes. Pour l’instant, faute de renforts, il doit se battre à un contre quatre sous le déluge de fer craché par les trois cents bouches à feu de l’Archiduc. « Les boulets tombaient dans nos rangs, raconte le brave Coignet, et enlevaient des files de trois hommes à la fois, lesobus faisaient sauter les bonnets à poil à vingt pieds de haut. Sitôt une file emportée, je disais : « Appuyez à droite, serrez les rangs ! » Et les braves grenadiers appuyaient sans sourciller et disaient en voyant mettre le feu : « C’est pour moi. – Eh bien, je reste derrière vous, c’est la bonne place, soyez tranquilles. » Aujourd’hui encore, en labourant les champs entre Essling et Wagram, le soc des charrues ramène des boulets.
Et durant des heures la boucherie se poursuit. La nuit tombe et les deux villages en flammes éclairent la plaine où le canon s’est tu. Sans cesse les renforts passent de l’île sur la rive gauche. Au matin du 22 mai, l’Empereur n’a encore, prêts à combattre, que trente-quatre mille hommes à opposer aux quatre-vingt-dix mille soldats de l’archiduc Charles. La journée n’en commence pas moins brillamment. Les Autrichiens semblent vouloir abandonner la lutte, tout au moins devant les villages. En canonnant, ils se replient vers Wagram. Déjà, l’Archiduc croit la bataille perdue, lorsque soudain, stupéfait, il voit l’assaut français se ralentir, s’amollir, puis s’arrêter.
Que s’est-il passé ? Non seulement le petit pont a été endommagé, mais le grand pont, long, rappelons-le, de 700 mètres, joignant l’île à la rive droite, vient d’être emporté. L’ennemi a lancé contre l’ouvrage de véritables coups de bélier, à l’aide de gros bateaux chargés de pierres et de troncs d’arbres, mis à l’eau en amont et emportés par le courant extrêmement violent du Danube.
Déjà, la veille, le pont avait été touché et crevé, mais la brèche avait pu être rapidement colmatée. Cette fois, impossible de réparer le dommage : le grand pont tout entier a été enlevé, alors que non seulement l’artillerie, mais les combattants commencent à manquer de munitions. Assurément, si la bataille se poursuit, les canons devront se taire. Il faut donc se retirer et regagner l’île où l’on se fortifiera avant de repartir plus tard pour livrer une nouvelle bataille. La retraite s’effectue, tandis que Lannes reçoit l’ordre de contenir la poussée ennemie et de s’arrêter, provisoirement, devant le fosséreliant Aspern à Essling. Les Autrichiens – ils ont appris la raison de l’arrêt de l’offensive ennemie – exultent et attaquent avec furie l’armée française qui se dirige calmement vers le Danube.
Les boulets tombent dru autour de l’Empereur, de son état-major et de la Garde, éclaircissant les rangs. Lui, impassible, regarde avec sa lorgnette les mouvements des différents corps. Des bataillons entiers de blessés passent devant lui, revenant du feu. Parmi eux se trouve le malheureux Dupin, grièvement frappé au coude par une balle. Il est comme ses camarades mort de fatigue, de souffrance et de faim, car, précise-t-il, « il y avait soixante-douze heures qu’il n’était entré dans mon corps que de l’eau du Danube ».
Lorsqu’on aperçoit parmi les blessés des hommes valides, on les
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