Napoléon
par Lannes, Napoléon effectue une reconnaissance le long du Danube. En aval de la ville, le fleuve parsemé d’îlots se divise en plusieurs bras. L’un de ceux-ci enveloppe une île assez vaste puisqu’elle mesure quatre kilomètres sur six.
C’est l’île de Lobau qui va entrer dans l’Histoire.
Les Autrichiens, qui ont massé cent cinquante mille hommes sur la rive gauche, ont négligé d’occuper l’île en force, aussi l’Empereur – il semble dans le cas présent défendre Vienne – choisit-il cet emplacement pour franchir le fleuve et attaquer l’Archiduc.
J’ai pu sillonner l’île en tous sens et retrouver les traces du séjour que fit ici l’armée napoléonienne durant sept semaines, de la veille du combat d’Essling au lendemain de la bataille de Wagram.
Autrefois réserve de chasse des archiducs, l’île est toujours couverte d’une magnifique forêt touffue et giboyeuse où les amoureux de Vienne aiment venir s’égarer... Les nombreux acacias, en fleur à la fin du mois de mai, parfument toute « la Lobau ». De rectilignes berges en pierre canalisent maintenant le cours violent et capricieux du grand bras du Danube qui, en face du village de Kaiser-Ebersdorf, atteignait, en 1809, une largeur de sept cents mètres. Le petit bras, large seulement d’une centaine de mètres, qui encerclait l’île en une vaste boucle, ne correspond plus directement avec le fleuve, mais est composé d’eaux moins dormantes qu’on ne croit, puisque le niveau suit les crues et les décrues du Danube. Si on a la chance de séjourner là au mois de mai – et telfut mon cas – on a presque l’illusion, du moins par endroits, de se trouver devant le petit bras du Danube tel qu’il se présentait aux yeux de l’Empereur. Seuls les îlots qui le parsemaient sont, aujourd’hui, rattachés à la Lobau, ou bien à la terre ferme.
Dès le 18 mai, la division Molitor, forte de cinq mille hommes, franchit le grand bras et, sans grande difficulté, chasse de l’île les quelques troupes autrichiennes qui s’y trouvaient. On peut aussitôt se mettre à la construction de deux ponts de bateaux qui permettront à l’armée, d’abord de gagner l’île Lobau en traversant le grand bras, ensuite de passer sur la rive gauche du fleuve.
Ce même 18 mai, Napoléon quitte Schoenbrunn pour s’installer au village d’Ebersdorf où il surveille lui-même la construction des ponts. Le premier ouvrage se décompose en deux tronçons qui prennent appui sur un îlot coupant le grand bras. Tout le monde travaille : « Officiers et généraux, nous dit un témoin, sont dans l’eau presque jusqu’au cou... » Dans la nuit du 20 au 21 mai le premier ouvrage est terminé et l’Empereur passe le Danube à la tête de son état-major. Au débouché du pont enjambant le grand bras, l’Empereur établit son quartier général – une stèle enfouie sous la végétation en marque toujours l’emplacement – tandis qu’une autre borne, bien dégagée celle-ci, indique le point où fut jeté le petit pont, juste en face du village d’Aspern.
Napoléon le franchit et a devant lui « une plaine superbe ». Un témoin a entendu Berthier constater quelques jours auparavant :
— Voilà une magnifique salle de bal. Nous allons y faire danser les Autrichiens.
C’est, en effet, une vaste étendue de champs sans aucun relief, qui se termine au nord, à une dizaine de kilomètres du Danube, par une levée de terre : le « plateau de Wagram ». Devant les Français, à mille bons mètres du fleuve, deux clochers marquent, comme aujourd’hui, le centre des deux villages, Aspern et Essling, occupés par l’ennemi.
Masséna commande l’aile gauche vers Aspern, Lannes, l’aile droite, vers Essling. Il a fallu laisserprès de la moitié des forces pour protéger les arrières. Cependant, amener à pied d’oeuvre quatre-vingt mille hommes par deux ponts, et cela sous le feu des Autrichiens, paraît une folie – Napoléon le reconnaîtra :
— C’est une faute de n’avoir jeté qu’un pont sur le petit bras.
— Voulez-vous que je vous parle franchement, prédit Lannes en montant à cheval, à l’aube du dimanche 21 mai. Je n’ai pas une bonne idée de cette affaire ; au reste, quelle qu’en soit l’issue, ce sera ma dernière bataille. Allons ! À cheval, messieurs !
Quatre-vingt-dix mille Autrichiens se sont élancés à la rencontre des Français qui débouchent dans la plaine par le petit
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