Napoléon
heureuse de les voir se réaliser ! »
Le dimanche 10 novembre, Napoléon arrive au monastère bénédictin de Melk, la plus belle abbaye peut-être du XVIII e siècle, assurément la plus vaste. Et, aujourd’hui, lorsque, arrivant par le plateau, on découvre la longue façade jaune Marie-Thérèse et l’église baroque dominant la prenante vallée du Danube, on demeure le souffle coupé.
L’Empereur s’installe dans l’appartement impérial chauffé par de grands poêles de faïence blanche, trois vastes pièces que Marie-Antoinette, se rendant en France pour épouser le dauphin, avait occupées avant lui, pour passer sa première Nachtstation. L’avant-veille, à Linz, Napoléon avait d’ailleurs parlé de la pauvre reine à son chambellan Thiard qui venait d’avoir une conversation avec Gyulai. Pourquoi, avait suggéré le général hongrois, Napoléon ne répudierait-il pas la stérile Joséphine pour épouser une archiduchesse ?
— Cela ne se peut pas, avait répondu l’Empereur, les archiduchesses ont toujours été fatales à la France. Le nom autrichien y a toujours déplu et Marie-Antoinette n’a pas contribué à diminuer cet éloignement. Son souvenir est trop récent.
Encore à Melk, le lendemain matin, il apprend que Murat, sans se préoccuper des Russes de Koutousov qui se trouvent à Krems, sur la rive droite du Danube, et des Autrichiens de Merveldt qui battent en retraite vers Leoben, a foncé vers Vienne « en flèche » et distancé Mortier. « Je ne puis approuver votre manière de marcher, lui écrit l’Empereur, vous allez comme un étourdi et vous ne pesez point les ordres que je vous fais donner. Les Russes, au lieu de couvrir Vienne, ont repassé le Danube à Krems... Sans savoir quelsprojets peut avoir l’ennemi, ni connaître quelles étaient mes volontés dans ce nouvel ordre de choses, vous allez enfourner mon armée sur Vienne... Je cherche en vain les raisons de votre conduite. »
Le futur roi de Naples veut tout simplement être le premier à occuper la capitale autrichienne. D’ailleurs son « enfournement » réussit, puisque, le 13 novembre, la ville se rend à Murat. « C’est un enivrement, raconte Thiébault, que d’entrer après cent lieues de victoires dans la capitale de l’ennemi, surtout quand cette capitale est celle des modernes Césars. On juge de notre exaltation quand nous prîmes possession de Vienne, que nous vîmes ses casernes devenir celles de nos soldats. » Les Viennois regardent, abasourdis, le spectacle. La garde nationale fait la haie et ses drapeaux s’inclinent devant les aigles.
— Je n’ai jamais été si fier d’être français, s’exclame un soldat.
Ce même mercredi soir, tandis que l’armée poursuit les Russes en direction du nord, Napoléon, « un peu fatigué », il l’avoue, arrive à Schoenbrunn. La noble façade – elle aussi « jaune Marie-Thérèse » – lui plaît. Il gravit rapidement l’escalier bleu et traverse les appartements d’apparat où s’épanouissent les enflures et les rotondités blanches et or du baroque. A-t-il jeté un coup d’oeil sur le plafond de l’admirable galerie où, au milieu de nuées d’azur, trône Marie-Thérèse couronnée ? En tous les cas, le souvenir de « la grande reine », ainsi qu’il l’appelle, demeure présent à son esprit, puisqu’il en parle dans le Bulletin du surlendemain. Il a choisi la vaste chambre dont les fenêtres donnent sur le parc qui s’achève par les arcades de la Gloriette se découpant sur le ciel. Entre ces murs ornés de tapisseries bruxelloises dues au talent de van der Borcht, son fils rendra le dernier soupir... Mais qui peut prévoir l’avenir ? Le présent n’est-il pas déjà incroyable ? Aujourd’hui, en six semaines, toute l’Autriche, du Danube à l’Italie, est conquise. L’armée de quatre-vingt mille hommes est anéantie ! Trente mille prisonniers, quatre-vingt-six drapeaux partent pour la France. Enfin, pour lapremière fois, Napoléon loge dans le palais même d’un souverain qu’il a vaincu.
Tel est le résultat de la pirouette qui, en quelques semaines, a conduit l’Empereur du Pas-de-Calais au coeur de l’Europe.
Napoléon quitte Schoenbrunn le 16 novembre par la route de Prague. Le lendemain, près de Znaïm, – aujourd’hui Znojmo – une nouvelle tragique l’atteint : le désastre de Trafalgar.
L’Empereur avait fait transmettre à Villeneuve, toujours à l’abri dans le port
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