Napoléon
accroché, par son ancre de veille, au Redoutable, un vaisseau français commandé par le capitaine Lucas. Les deux navires, bord à bord, sont « tête-bêche ». Tandis que les soldats se livrent à un duel dé mousqueterie tiré presque à bout portant, Nelson fait les « cent pas » sur la dunette, ces cent pas maritimes que les marins connaissent bien. Le capitaine Hardy, commandant le Victory, accompagne l’amiral dans « sa promenade habituelle ». Soudain, l’officier voit Nelson s’affaisser sur les genoux et s’appuyer sur son bras gauche – il a été amputé du bras droit à la suite d’une blessure reçue lors de l’attaque de Santa Cruz, en 1797.
— Cette fois, Hardy, murmure l’amiral, ils m’ont bien eu !
— J’espère que non...
— Si ! J’ai reçu une balle dans la colonne vertébrale.
Trois heures plus tard, Nelson expirait. Son corps, placé debout dans une futaille remplie d’eau-de-vie, sera ramené en Angleterre et inhumé dans un morceau évidé du grand mât de l’Orient, vaisseau amiral français vaincu à Aboukir.
La flotte française n’en est pas moins anéantie. Villeneuve a dû amener son pavillon et ne sera plus désormais qu’un mort en sursis. L’année suivante, désespéré, ne parvenant pas à se justifier, il finira parse suicider en se donnant six coups de poignard dans une chambre d’un hôtel de Rennes...
Plus d’un siècle auparavant, Tourville avait suivi les instructions de Louis XIV, et ce fut la catastrophe de la Hougue. Villeneuve, insulté au surplus par Napoléon, a obéi aux ordres de l’Empereur, et ce fut la défaite de Trafalgar. Deux désastres dont la flotte française ne se relèvera jamais.
III
LE SOLEIL D’AUSTERLITZ
On ne fait bien que ce qu’on fait soi-même.
N APOLÉON .
V ENANT de Vienne, en entrant en Tchécoslovaquie,on rencontre tout d’abord le souvenir de Napoléon à l’humble presbytère de Pohorelice – hierPohrlitz – un village qui n’a pas changé depuis 1805et où l’on devine la pauvreté morave tapie derrière les petites maisons basses, autrefois peintes decouleurs vives. Le bourg est situé au débouché d’unemagnifique forêt où dominent les acacias, sur la routede Vienne à Brünn, à 25 kilomètres du poste frontière tchécoslovaque de Mikalov où se déchaîne lapaperasserie chère aux États qui n’ont point pignonde verre sur rue...
C’est là, le 20 novembre 1805, à 8 heures du matinque l’Empereur se penche sur la carte de la Moravie.« Il est ordonné au maréchal Soult de se rendre àAusterlitz », dicte-t-il. Et, pour la première fois, ilprononce ainsi le nom de ce village qui se trouve à20 kilomètres à l’est de Brünn, sur la route de Hongrie, un bourg portant de nos jours le nom de Slavkvov-u-Brno.
Deux heures plus tard, Napoléon s’arrête devant la cuvette de Brünn, au milieu de laquelle, sur un véritable piton, se dresse la citadelle où sera enfermé l’infortuné général Mack, le vaincu d’Ulm. Devant la porte de la ville s’étend un champ de boue dans laquelle pataugent l’évêque et le corps municipal venus offrir au vainqueur de Vienne les clefs de la vieille cité. Quels sentiments peuvent éprouver ceux dont le sol va servir de champ clos pour une cause qui leur est bien étrangère ? S’il faut en croire Napoléon, lorsqu’on demandait aux Moraves s’ils aimaient leur empereur, ils répondaient :
— Nous l’aimions, mais comment voulez-vous que nous l’aimions encore ? Il a fait venir les Russes ?... Nous aimons mieux, mille fois, voir les Français armés contre nous que des alliés tels que les Russes.
Napoléon ajoutait :
— Sans doute, c’est pour la dernière fois que les gouvernements européens appelleront de si funestes secours. S’ils étaient capables de le voir encore, ils auraient à payer ces alliés du soulèvement de leur propre nation.
Escorté par la Garde et par les mamelouks, Napoléon visite le logement qui lui a été réservé – l’hôtel du Gouverneur–,inspecte les fortifications, monte jusqu’à la citadelle, puis gravit, à la sortie de la ville, la longue côte de la route d’Olmutz, actuellement Olomouc.
Il va choisir son champ de bataille.
Où se trouve l’ennemi ? Sa grand-garde se tient vers Olmutz, exactement à Wischau – Vyskov, en tchèque. C’est donc bien, à mi-chemin, du côté d’Austerlitz que l’on se battra. La route monte et descend épousant les molles
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