Napoléon
pointe de nos sabres, et nous frappions à la figure de notre lourde poignée. »
Les cavaliers ennemis se replient et l’Empereur ordonne de commencer le bombardement de la ville. Le soir venu, Ségur va demander à Mack de rendre la place. Le général autrichien espère l’arrivée des Russes. Les croyant à Dachau, occupé cependant par les troupes françaises, il exige huit jours de délai, persuadé que les alliés de l’Autriche viendront à son secours. La discussion se prolonge jusqu’à l’aube. Finalement le prince Maurice de Liechtenstein, envoyé par le maréchal Mack auprès de Napoléon, demande que l’armée d’Ulm, après la reddition, puisse retourner en Autriche.
— Si je vous laisse sortir, s’exclame l’Empereur, quelle garantie ai-je qu’on ne fera pas servir vos troupes, une fois qu’elles seront réunies aux Russes ? Je me souviens de Marengo. Je laissai passer M. de Mêlas, et il fallut que Masséna combattît ses troupes au bout de deux mois, malgré les promesses les plus solennelles de traiter de la paix !
Finalement, Mack accepte de capituler sans conditions. Le 20 octobre, la garnison d’Ulm prisonnière, soit vingt-sept mille hommes, dix-huit généraux, quarante drapeaux et soixante canons attelés, défile devant Napoléon. Trois mille blessés sont restés dans la ville. Descendu de son cheval blanc, l’Empereur va se placer devant ses généraux. Il porte sa redingote grise et son « mauvais chapeau ». À droite et à gauche se rangent les corps de Ney et de Marmont dont les armes demeurent chargées. Le premier, le général vaincu s’avance et tend son épée à l’Empereur en s’exclamant :
— Voici le malheureux Mack !
En défilant, les prisonniers ralentissent leur marche. Beaucoup crient : Vive l’Empereur ! « Un pareil spectacle ne peut se rendre, écrira le maréchal Marmont bien des années plus tard, et la sensation en est encore présente à mon souvenir. De quelle ivresse nos soldats n’étaient-ils pas transportés ! »
Un colonel autrichien témoigne son étonnement de voir l’Empereur des Français trempé, couvert deboue, « autant et plus fatigué que le dernier tambour de l’armée ».
Napoléon a entendu.
— Votre maître, déclare-t-il, a voulu me faire ressouvenir que j’étais un soldat ; j’espère qu’il conviendra que le trône et la pourpre impériale ne m’ont pas fait oublier mon premier métier...
Après le long défilé – il se prolongera durant cinq heures – l’Empereur fait appeler près de lui les généraux autrichiens.
— Messieurs, leur dit-il, votre maître me fait une guerre injuste : je vous le dis franchement, je ne sais point pourquoi je me bats ; je ne sais ce qu’on veut de moi.
Que l’empereur François se hâte donc de faire la paix !
— C’est le moment de se rappeler, ajoute Napoléon, que tous les empires ont un terme ; l’idée que la fin de la dynastie de la Maison de Lorraine serait arrivée doit l’effrayer.
— L’empereur d’Autriche n’a pas voulu la guerre, explique Mack, il y a été forcé par la Russie.
— En ce cas, déclare Napoléon, vous n’êtes donc plus une puissance ?
Elle ne l’était plus, en effet...
Après être resté quelques jours en Bavière, Napoléon reprend la route vers Vienne. Le soir du 2 novembre, en arrivant à Haag, il trace ces lignes pour Joséphine : « Je suis en grande marche ; le temps est froid, la terre couverte d’un pied de neige. Cela est un peu rude. Il ne manque heureusement pas de bois ; nous sommes ici toujours dans les forêts. Je me porte assez bien. Mes affaires vont d’une manière satisfaisante ; mes ennemis doivent avoir plus de soucis que moi... »
Plus de soucis, assurément ! La famille impériale quitte la capitale dans la neige et le froid, fuyant les soldats de « l’Ogre de France ». Une fausse nouvelle fait croire à la victoire des troupes autrichiennes. Et une petite archiduchesse nommée Marie-Louise écrit : « Nous avons appris avec joie que Napoléonétait présent à la grande bataille qu’il a perdue. Puisse-t-il aussi perdre la tête ! On fait ici beaucoup de prophéties sur sa fin prochaine et l’on dit que c’est à lui que s’applique l’Apocalypse. On affirme qu’il doit mourir cette année à Cologne, dans une auberge appelée « À l’Ecrevisse rouge ». Je n’attache pas grande importance à toutes ces prédictions, mais comme je serais
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