Napoléon
de Cadix, un ordre qui équivalait à un suicide : « Sa Majesté veut éteindre cette circonspection qu’elle reproche à sa marine, ce système de défensive qui tue l’audace et qui double celle de l’ennemi. » Il avait encore ordonné d’attaquer Nelson « sans hésiter » et d’avoir avec lui « une affaire décisive ».
Décisive ! Elle se produira, en effet, mais pas dans le sens où l’Empereur l’entendait... Le ministre Decrès avait transmis à Villeneuve, les reproches sanglants de Napoléon en les édulcorant : « Sa Majesté veut que l’on épargne à son pavillon l’opprobre. » En réalité, l’Empereur, en apprenant que la flotte combinée ne remonterait définitivement pas vers la Manche, avait écrit au ministre de la Marine : « Villeneuve est un misérable qu’il faut chasser ignominieusement. Il sacrifierait tout pourvu qu’il sauve sa peau ! »
Villeneuve sacrifiera tout, mais n’en sauvera pas sa peau pour autant !
Lorsqu’il reçoit la lettre de Decrès lui communiquant les directives de Napoléon lui enjoignant de quitter son abri, Villeneuve réunit ses principaux officiers. Que pensent-ils de la situation ? Autrement dit : faut-il obéir aux ordres de l’Empereur qui séjourne à 2 500 kilomètres de là ? La réponse des amiraux français et espagnols est unanime : « La flotte ennemie se trouvant dans les parages est beaucoup plus forte que la nôtre. » Sortir de Cadix équivaudrait à un suicide.
Villeneuve hésite.
Soudain, le chef de l’escadre combinée est averti, non par un pli officiel, mais par « le bruit public », que Napoléon ¿envoie l’amiral Rosily pour le relever. Déjà, paraît-il, son remplaçant galope sur la route de Madrid à Cadix ! Ulcéré, Villeneuve écrit alors à Decrès : « Si le vent me permet de sortir, je partirai dès demain » – c’est-à-dire le 18 octobre. Ce jour-là, on lui annonce que Nelson n’a que vingt-huit vaisseaux dans les parages, aussi donne-t-il l’ordre d’appareiller. Vents et courants contrarient la manoeuvre et, seuls les vaisseaux d’avant-garde quittent le port. Ils seront suivis, le lendemain, par Villeneuve. Derrière le vaisseau amiral, les derniers navires de la flotte combinée gagnent la haute mer.
Il est alors 11 heures du matin.
À son tour, le 21 octobre, Nelson se met en route. Ainsi que l’a fort bien expliqué René Maine, « il se rendait parfaitement compte de l’importance exceptionnelle de la bataille qu’il allait livrer. Vaincre Villeneuve de façon définitive, c’était écarter des mers la France et l’Espagne pour un temps indéterminé ; c’était permettre à l’Angleterre de consolider son hégémonie maritime, d’accroître sa puissance coloniale et, par là même, de gagner finalement la guerre. Bref, c’était changer la face du monde ». Le vainqueur d’Aboukir n’a pas attendu cette veille de bataille pour exposer sa tactique à ses capitaines. « Lorsque j’en vins à leur expliquer la Nelson Touch, racontera-t-il dans l’une de ses dernières lettres, ce fut comme une secousse électrique. Certains laissaient couler leurs larmes, tous approuvaient : « C’était nouveau, personnel et si simple ! » Ce « coup de Nelson », autrement dit ce coup de Trafalgar, consisterait, au lieu de canonner la ligne ennemie, à foncer en une double flèche à la fois sur les vaisseaux de l’avant-garde et de l’arrière-garde de l’adversaire. Les deux ailes éloignées, dispersées, désagrégées en plusieurs tronçons, on se rabattrait sur le centre, un centre amputé de deux corps de bataille.
Ce plan fut rigoureusement suivi.
Les vingt-huit anglais – ils ont l’avantage d’être au vent de leurs adversaires – après avoir emprunté en ordre dispersé, la même route que Villeneuve, se formèrent en deux colonnes dont l’une est commandée par Nelson, qui a mis sa marque sur le Victory, et l’autre par Collingwood, à bord du Royal Sovereign. Les deux files se dirigent vers la ligne alliée. L’irrégularité de la formation de la flotte combinée, son manque de cohésion, le flottement provoqué par l’attaque inattendue, permettent à Nelson de traverser facilement – et à deux endroits – la ligne franco-espagnole. Coupée en trois tronçons, l’escadre de Villeneuve ne pourrait en réchapper.
Mais la victoire coûtera la vie à Nelson.
Une heure après le début de la bataille, le Victory se trouve
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