Napoléon
pas se refuser au bonheur de donnerelle-même la paix au monde... Le monde est assez grand pour que nos deux nations puissent y vivre... »
On devine le ton vague de la réponse britannique. « Tant que la Gaule boira le Rhin », tant que Napoléon possédera Anvers, ce pistolet braqué sur le coeur de l’Angleterre, « Monsieur mon frère » refusera « le bonheur de donner la paix au monde » – d’autant plus que Napoléon s’apprêtait à partir pour Milan ceindre la couronne de fer d’Italie. Les alliés tenaient là le prétexte qui allait cimenter leur future coalition.
L’Italie demeurait encore une république, dont Napoléon était le président. L’empereur des Français considère cette situation comme une anomalie qu’il faut au plus tôt réviser... Il offre d’abord le trône italien à Joseph, en posant, comme condition formelle, pour le futur roi d’Italie, de renoncer à la couronne de France. Joseph, qui se prend pour le fils de « l’empereur Charles Bonaparte », refuse d’abdiquer ce qu’il appelle, sans rire, des droits « issus du voeu populaire »... Napoléon se tourne alors vers Louis et le convoque avec Hortense aux Tuileries.
— Ma politique, leur déclare-t-il, exige que j’adopte votre fils aîné pour le nommer roi d’Italie.
Aussitôt, le visage du lamentable Louis se rembrunit :
— Je ne consentirai jamais à ce que mon fils soit plus que moi !
Après s’être emporté devant une imbécillité aussi flagrante qu’incompréhensible, l’Empereur essaye de raisonner son frère :
— Votre fils restera en France jusqu’à sa majorité : il aura une maison française et une maison italienne... Votre fils, roi d’Italie, est l’unique moyen d’éviter la guerre avec l’Autriche et de conserver l’Italie.
Mais Louis demeure inébranlable. Alors l’Empereur s’abandonne à sa colère :
— II est cruel pour moi d’avoir une famille qui partage si peu mes travaux et mes peines. Vous me faites sentir tous les jours le malheur dç n’avoir pas d’enfant. J’aurais bien pu me passer de mes frèresen mettant cette couronne sur ma tête, et, sans la crainte de la guerre, je l’aurais déjà fait !
Amer, il lance encore :
— Je serais heureux de n’avoir jamais rien à attendre et à espérer de vous !
Napoléon se tourne enfin vers Lucien, lui propose la couronne italienne sous réserve qu’il veuille bien divorcer. Dignement, celui qui, en Brumaire, a mis à son frère le pied à l’étrier, refuse... Napoléon, furieux de l’attitude du clan, sera obligé de coiffer lui-même la couronne et de faire du fidèle Eugène de Beauharnais un vice-roi. Bien sûr, le fils de Joséphine devra se considérer comme une manière de préfet et prendre le moins d’initiatives possibles.
« Je ne puis trop vous témoigner mon mécontentement de ce que vous prononcez sur des objets que je me suis réservés, lui écrira l’Empereur le 6 août 1805. Voilà trois fois dans un mois... Si vous tenez à mon estime et à mon amitié, vous ne devez, sous aucun prétexte, la lune menaça-t-elle de tomber sur Milan, rien faire de ce qui est hors de votre autorité. Je crois avoir des droits à votre confiance pour que, sur des affaires importantes, même vous concernant, vous jugiez nécessaire d’attendre mes avis... »
Napoléon veut cependant s’offrir le luxe de mettre lui-même sur sa tête la couronne de fer, et il part avec Joséphine pour Milan. En passant par Troyes, il quitte l’Impératrice et le « gros du bagage impérial » pour se rendre à Brienne à la rencontre de ses souvenirs d’écolier. Il se donne ainsi deux jours de congé entre deux couronnes...
Mme de Brienne l’accueille au château et le conduit dans la « chambre du roi » – à ce lit devant lequel, petit cadet de l’Ecole, il avait bâillé d’admiration.
— Vendez-moi votre château, demande-t-il à la maîtresse de maison. Veuve et sans enfants, qu’est-ce que Brienne pour vous ? Pour moi, c’est beaucoup.
— Pour moi c’est tout, répond-elle.
Le lendemain, il flâne à travers le jardin et les bâtiments de l’ancienne école. Puis, attristé par l’abandon des lieux, il monte brusquement son chevalarabe et sort de Brienne par la route de Bar-sur-Aube. Il se jette à travers champs, au triple galop, « comme un élève ou un empereur en liberté ». Il veut revoir les lieux que « l’arrière-cadet de Buonaparte » avait si
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