Napoléon
cap sur Saint-Domingue où il assista en spectateur paisible à la reprise de Port-au-Prince – ce qui lui valut le grade d’enseigne de vaisseau. Mais l’uniforme lui semblant trop discrètement chamarré, Jérôme, à la stupéfaction de son amiral, préféra arborer une superbe tenue d’officier des hussards de Berchény : culotte, dolman et pelisse bleu ciel sur gilet écarlate. Les femmes se pâmèrent d’admiration en le voyant ainsi déguisé... d’autant plus qu’il était loin d’être vilain garçon. Napoléon l’avait alors promu lieutenant de vaisseau.
À dix-huit ans – il se trouvait en rade de la Martinique – on avait pris le risque de lui confier le commandement d’un brick. Devenu « maître à bord », il s’empressa – la guerre ayant été déclarée entre la France et l’Angleterre – d’envoyer au feu son navire... après qu’il l’eut abandonné pour aller visiter les États-Unis, où il sema des dettes considérables sur son chemin.
Le frère du citoyen Premier consul était tout bonnement déserteur ! N’ayant pas pris la guerre au sérieux – c’est le moins que l’on puisse en dire – il devait prendre tout aussi légèrement son mariage. Sans l’autorisation de son frère ou de Madame Letizia – il n’était pas encore majeur – il épousa la Belle de Baltimore, la jolie Élisabeth Patterson et, tout en empruntant sans scrupule aux agents français des milliers de dollars, fila avec sa femme le parfait amour.
Napoléon, qui s’apprêtait alors à monter sur le trône, fut en proie à une colère indescriptible lorsqu’il apprit la nouvelle frasque de l’écervelé. Mais que faire ?. L’Atlantique séparait les deux frères...
Alléchés par la pourpre impériale, M. et Mme Jérôme Bonaparte débarquent au printemps 1805 à Lisbonne. Suivant les instructions du maître, le chargé d’affaires de France leur annonce qu’il tient à la disposition du frère de « Sa Majesté impériale » un passeport, mais qu’il est rigoureusement interdit « à la femme avec laquelle il est » – tels sont les propres termes employés par l’Empereur – de pénétrer sur le territoire de l’Empire. « Il faut, avait encore précisé Napoléon, qu’on ne la laisse pas débarquer à Bordeaux, et qu’il lui soit signifié l’ordre de retourner en Amérique. L’appeler Mademoiselle Patterson dans la signification qu’on lui fera. Vous sentez combien cette affaire m’intéresse. »
Jérôme prend alors le parti d’aller se jeter aux pieds de son frère ; il est persuadé, assure-t-il à sa femme, d’obtenir son pardon et la reconnaissance de leur mariage. On s’embrasse, on se jure un amour éternel et les époux se séparent-
Ils ne devaient plus jamais se revoir !
Apprenant la prochaine arrivée du coupable en Italie, l’Empereur craint les indulgentes réactions de la Madré et lui écrit afin de lui dicter l’attitude qu’elle devra adopter à l’égard de Jérôme :
« Il faut traiter ce jeune homme sévèrement si, dans la seule entrevue que je lui accorderai, il se montre peu digne du nom qu’il porte et s’il persiste à vouloir continuer sa liaison. S’il n’est point disposé à laver le déshonneur imprimé à mon nom en abandonnant son drapeau et son pavillon pour une misérable femme, je l’abandonnerai à jamais. »
Avant que Jérôme ne le rejoigne, l’Empereur écrit d’Alexandria à son frère, lui précisant qu’il « n’y a point de faute qu’un véritable repentir » n’efface à ses yeux. Mais – et c’est la question primordiale, comment liquider ce stupide mariage ? Napoléon ne s’embarrasse pas pour autant : « Votre union avec Mlle Patterson est nulle aux yeux de la religion comme aux yeux de la loi. Écrivez à Mlle Patterson de retourner en Amérique. Je lui accorderai une pension de soixante mille francs sa vie durant, à la condition que, dans aucun cas, elle ne portera mon nom. Vous-même faites-lui connaître que vous n’avez pu ni ne pourrez changer la nature des choses. Votre mariage ainsi annulé par votre propre volonté, je vous rendrai mon amitié, je reprendrai les sentiments que j’ai eus pour vous depuis votre enfance, espérant que vous vous en rendrez digne par les soins que vous porterez à acquérir ma reconnaissance et à vous distinguer dans mes armées. »
Mis au courant de la décision prise par le maître, le juriste Cambacérès est choqué par la
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