Néron
donner la mort.
Et, s’il s’y refusait, qu’on le tuât.
Avant d’obtempérer, Gavius Silvanus a consulté le préfet du prétoire, son chef, Faenius Rufus. Devait-il transmettre l’ordre de Néron ? Tous deux, comme d’autres prétoriens, le tribun Flavus et le centurion Asper, avaient fait partie de la conspiration. Mais ils n’avaient pas été découverts.
Il fallait donc d’autant plus exécuter les ordres de Néron.
Lâcheté de tous !
Gavius Silvanus n’osa pas affronter le regard de Sénèque, et c’est un centurion qui pénétra dans la chambre de mon maître pour lui annoncer qu’il devait se tuer, tout en lui refusant le droit de compléter son testament.
Sénèque s’est alors avancé vers ses amis et son épouse.
— Je ne peux vous témoigner ma reconnaissance, on m’en empêche, a-t-il dit. Je vous laisse donc l’image de ma vie, de mon amitié fidèle et de mes vertus.
Paulina, Barinus et Petrus pleuraient.
Il les a réprimandés d’abord avec force, puis d’une voix plus douce. Était-ce là, leur a-t-il remontré, être fidèle à la philosophie qu’il leur avait enseignée, aux arguments qu’ils avaient médités ensemble et qui tous concluaient qu’il fallait accepter avec sagesse les menaces de la Fortune ? Et comment auraient-ils pu croire que Néron n’exercerait pas sa cruauté, lui qu’aucun lien de parenté n’avait retenu de tuer ?
Allons, il fallait rester serein.
Mais c’est à cet instant, en prenant son épouse Paulina dans ses bras, que mon maître a montré ce que Barinus et Petrus appellent son émotion. Il faisait ses adieux à Paulina quand celle-ci a réclamé le droit de mourir avec lui, sanglotant, s’accrochant à ses épaules, demandant qu’on la frappât. Les témoins, Petrus et Barinus, mais aussi des esclaves, m’ont permis de reconstituer les paroles de Sénèque quand il a cédé à Paulina et lui dit :
— Je t’avais montré ce que la vie peut avoir de douceur ; toi, tu préfères la gloire de mourir. Je ne te priverai pas de donner un tel exemple. Que la fermeté dont témoigne une fin aussi courageuse soit pareille de ta part et de la mienne, mais qu’il y ait plus d’éclat dans ton départ à toi de cette vie !
Après quoi, d’un même coup, il s’est ouvert les veines du bras.
De son corps âgé et affaibli par la fragilité de son régime le sang s’écoule lentement. Sénèque se penche. La main tient fermement le poignard effilé. Il enfonce la pointe de la lame dans ses jambes et ses jarrets. Il cherche lentement les veines. Il se mord les lèvres pour ne pas crier. Son visage pâlit, se crispe.
Il voit Paulina dont le sang par saccades jaillit des bras entaillés.
Sénèque craint que leurs souffrances ne soient à l’un et à l’autre insupportables, aussi ordonne-t-il qu’on le porte dans une chambre et qu’on l’y laisse avec Petrus et Barinus auxquels il dictera ses dernières pensées.
Je ne les connais pas.
Mais sans doute a-t-il repris ce qu’il m’écrivait dans sa lettre.
Pendant ce temps, les soldats, les affranchis s’affairent autour de Paulina.
Gavius Silvanius a reçu l’ordre de Néron de la sauver, car cette mort inutile peut entacher la gloire de l’empereur, son triomphe sur la conspiration, et conférer à Sénèque un peu plus de prestige encore. On bande les bras de Paulina. On la force à boire des élixirs de vie.
Mais son visage et son corps restent blêmes.
Et quand je l’ai vue, immobile, allongée, les yeux fixes, il m’a semblé que, restée vivante, l’élan vital l’avait quittée.
Paulina n’a donc pas assisté aux derniers instants de Sénèque.
L’agonie de celui-ci est lente. Il semble que la mort retarde à plaisir sa victoire.
Alors, levant lentement le bras, il demande que son médecin lui administre le poison prévu depuis longtemps, celui qui, autrefois, servait à faire mourir les hommes qu’un jugement des tribunaux athéniens avait condamnés.
Sénèque boit à son tour la ciguë.
Mais le corps résiste. Il faut donc en finir.
Il demande qu’on le plonge dans un bain chaud. Après quoi, on le transporte dans une cuve où, enfin, enveloppé par la chaleur brûlante, il meurt.
Adieu, mon maître de pensée et de vie.
Adieu, Sénèque.
Je suis retourné dans sa villa romaine dont on murmurait que Néron allait se saisir.
J’ai parcouru l’allée que nous avions tant de fois arpentée.
Je me suis arrêté
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