Néron
devant la statue d’Apollon et je me suis souvenu de nos conversations.
On murmure dans Rome qu’au sein de la conspiration de Pison des prétoriens comme le tribun Sibrius Flavus et le centurion Asper s’apprêtaient, une fois Néron assassiné, à tuer aussi Pison et à remettre l’Empire à Sénèque, qui n’avait eu aucune part dans les crimes de Néron et que sa sagesse, son souci de l’équilibre et de la clémence, son respect des traditions et des institutions rendaient digne d’occuper le rang suprême.
Je n’ai jamais perçu trace chez Sénèque de cette ambition-là.
Néron régnait. Sénèque tentait de le conseiller, de l’empêcher de céder à ses mauvais penchants. Mais il connaissait la nature sauvage et perverse du jeune empereur.
Et Néron règne toujours sans que plus rien ni personne ne s’oppose à sa démence et à sa tyrannie.
42
Néron le tyran m’a épargné.
Il savait pourtant – et ses délateurs devaient le lui rappeler – que j’avais été l’élève et l’ami de Sénèque.
Et je ne l’avais pas, comme tant de grands Romains, supplié de me laisser en vie.
Je ne l’avais pas remercié d’avoir tué mes proches, comme tant de ces riches citoyens le faisaient.
L’hécatombe avait été si grande que la ville était parcourue en tous sens par les cortèges funèbres. Mais les maisons des victimes des prétoriens de Néron étaient ornées de lauriers comme pour un jour de triomphe. On faisait mine de s’enorgueillir d’avoir subi, dans la chair de ses parents ou de ses amis, le châtiment de l’empereur.
Et j’ai vu ces hommes terrorisés se précipiter pour embrasser la main de Néron comme s’il s’était agi de celle d’un dieu.
Au Sénat, un consul proposa même qu’on élevât un temple au dieu Néron. C’est l’empereur lui-même qui refusa, sachant que les honneurs divins n’étaient attribués qu’à un prince mort : il craignait qu’un temple qui lui serait dédié ne fut le présage de sa disparition prochaine.
Mais il accepta qu’on nommât le mois d’avril « mois de Néron », et il consacra à Jupiter vengeur le poignard que Scaevinus avait voulu utiliser pour le tuer.
Il écouta avec un sourire méprisant les déclarations de soumission de tous les sénateurs auxquels il venait d’annoncer que la conspiration était écrasée et qu’il n’avait tué que pour se défendre et protéger l’Empire.
Et quand le sénateur Junius Gallio, frère aîné de Sénèque, se leva et, en larmes, lui demanda de lui laisser la vie sauve, allant honteusement jusqu’à dénoncer les ambitions de son cadet, Néron l’ignora, quittant le Sénat alors que ce lâche pleurnichait encore, ternissant la gloire et de son frère et de sa famille.
Je m’étonnais donc d’être en vie.
Et lorsque j’ai vu s’avancer dans le vestibule de ma villa de Capoue le tribun Varin, qui commandait une cohorte des Germains de la garde prétorienne de Néron, j’ai pensé que la mort venait d’entrer dans ma demeure avec ce soldat casqué qui marchait d’un pas lent, la main serrée sur le pommeau de son glaive.
Mes stylets pour m’ouvrir les veines et les flacons de poison étaient prêts. Mon régisseur, le vieil affranchi Nolis, ma maîtresse, Sala, une affranchie elle aussi, mon chirurgien grec Cinyras se tenaient à mes côtés, le visage creusé par l’effroi et le désespoir.
Varin m’a remis un message de Néron.
L’empereur s’inquiétait de ma santé. Quelle autre raison que la maladie m’aurait-elle poussé à quitter Rome où je pouvais compter sur l’amitié qu’il vouait à ceux qui l’avaient bien servi ?
Et Néron pensait que j’étais de ceux-là.
Il me demandait donc de rentrer dès que je le pourrais. Et il souhaitait que cela tut le plus tôt possible.
Je me suis souvenu des paroles de Sénèque. Quand on ne peut tuer un tyran, il faut le servir ou s’enfuir.
J’ai donc regagné Rome, persuadé qu’un dieu veillait sur moi, retenait le glaive du tyran.
Ce ne pouvait être l’un de ces dieux auxquels Néron offrait presque chaque jour des sacrifices.
J’ai pensé à ce Christos, ce dieu dont les disciples avaient été persécutés. Peut-être me protégeait-il parce que j’avais été ému et révolté par les supplices que le tyran avait infligés à ses fidèles ?
J’ai prié Christos sans connaître les mots qu’il fallait lui adresser ni les offrandes qu’il fallait lui
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