Néron
incestueux. Elle avait abusé de l’enfant qu’il était, elle, sa tante, et il en avait été longtemps marqué. Mais les dieux et sa mère l’avaient guéri de cette blessure dont la coupable devait être punie si l’on ne voulait pas qu’elle corrompît à nouveau d’autres enfants par des actes sacrilèges.
Bannie, dépouillée, morte, Lepida !
— Voilà Néron, ai-je conclu.
Mais Sénèque, à l’égal des Romains, admirait le prince de la Jeunesse, si beau, si juvénile quand il apparaissait aux côtés de Claude.
Et Agrippine incitait l’empereur à se présenter aux côtés de son fils aîné devant le peuple rassemblé. Elle voulait que par sa seule présence celui-ci ternisse le prestige et l’autorité de celui-là, qu’il soit le soleil levant qui repousse la nuit, et laisse dans l’ombre Britannicus, le fils cadet, le vaincu.
J’avais assisté à cela, assis parmi la foule sur les collines qui dominaient le lac Fucin qu’un canal désormais reliait au fleuve Liris afin d’alimenter les six cents fontaines de Rome. C’était l’œuvre de Claude et il voulait la célébrer. Il avait chargé Narcisse, son affranchi, de présider à ces travaux, puis d’organiser, pour marquer l’arrivée des eaux du fleuve, un spectacle que la plèbe n’oublierait pas de sitôt.
J’ai vu dix-neuf mille esclaves, des condamnés, embarquer comme rameurs et comme combattants sur des trirèmes et des quadrirèmes qui devaient s’affronter sur le lac Fucin, devant la plèbe enthousiaste, en un simulacre de bataille navale. Autour de ces navires, sur les radeaux disposés en cercle, se tenaient des cohortes et des escadrons de la garde prétorienne afin qu’aucun des esclaves ne fut tenté de s’enfuir.
Ils combattirent sous les acclamations et les cris.
Je regardai Claude.
L’empereur était enveloppé dans l’ample manteau pourpre que portaient à la guerre les généraux. Mais la foule, lorsqu’elle applaudissait, se tournait vers Néron, debout dans sa tunique brodée d’or, et vers Agrippine, resplendissante dans sa chlamyde cousue de fil d’or agrafée sur l’épaule, courte et fendue. On eût dit l’épouse de Néron et non pas celle de l’empereur Claude.
Et c’est à Néron que la foule demandai la grâce des esclaves que la mort avait délaissés au cours du combat.
Claude avait hésité avant de l’accorder d’un geste las. Mais la foule remerciait Néron.
Puis les écluses furent ouvertes et l’eau du fleuve se précipita dans le lac comme un torrent tumultueux qui emportait les tables dressées pour le banquet. La plèbe s’enfuyait devant ces vagues grises qui déferlaient.
Agrippine, agitant les mains, les cheveux dénoués, accusa Narcisse d’avoir, par cupidité et prévarication, négligé de surveiller les travaux du canal et provoqué ce désastre. Narcisse s’emporta, répondit qu’Agrippine était une femme incapable de dominer ses émotions, qu’elle nourrissait de surcroît de trop grandes ambitions.
En l’écoutant, en captant les regards qu’échangeaient Agrippine et Néron, je me suis souvenu des propos de Sénèque.
Oui, certains mots tuaient ceux qui les prononçaient.
12
Quand Agrippine lâchera-t-elle la mort aux trousses de ceux qui s’opposent à son ambition ?
Je la vois qui hésite.
La mort se tient près d’elle, flairant Narcisse ou l’empereur Claude, et d’autres encore.
Elle s’approche ainsi de cet ancien gouverneur d’Afrique, le proconsul Taurus, un homme riche, un général victorieux, qui possède de vastes jardins ombragés couvrant les pentes de l’Aventin. On dit qu’Agrippine veut s’en emparer. À chaque fois que sa litière les longe, elle se redresse, regarde les arbres et les fleurs, puis se ronge les ongles.
Elle convoque Pallas. Ils chuchotent, lui penché sur elle, attentif et servile.
Quelques jours plus tard, un homme se dresse au Sénat, accuse Taurus de corruption et de concussion, de vol même. L’accusé regarde autour de lui, égaré : qui peut ajouter foi à un tel réquisitoire, quel est ce délateur ?
Les sénateurs baissent la tête. Chacun sait que l’accusateur est aux ordres de Pallas et d’Agrippine, et que plus rien ne peut sauver Taurus.
La mort se glisse en lui. Il se tue, humilié, désespéré, abandonné de tous. Et l’empereur Claude décrète que les biens du proconsul Taurus deviennent propriété d’Agrippine. Elle fait arrêter sa litière devant les
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