Néron
qu’elle sache que je suis l’empereur et que je peux tout, si je le veux !
Il se rendait chez elle, entouré de centurions qui, le glaive tiré hors du fourreau, paraissaient faire irruption dans la demeure pour faire couler le sang.
On m’a dit qu’à aucun moment Agrippine n’avait paru paralysée par l’effroi.
Elle s’avançait, contraignant les centurions à s’écarter. Elle souriait à Néron, qui ne pouvait lui refuser de l’embrasser et qui se retirait aussitôt avec sa troupe.
Cette femme-là, qui avait porté dans son ventre un fils dont l’âme m’apparaissait de jour en jour plus monstrueuse, ne pouvait être vaincue que par la mort.
Mais un fils peut-il tuer sa mère ? cette femme dont il a été aussi l’amant ?
Sans compter qu’Agrippine devait connaître tous les secrets des poisons. Elle avait, la première, eu recours à la tueuse aux voiles noirs, Locuste. Elle avait dû se faire confectionner des antidotes censés lui permettre de survivre à tous les venins. La tuer serait une affaire difficile.
Pourtant, je sais qu’une nuit Néron l’a décidé.
Il buvait dans l’une de ces tavernes où il aimait fouler aux pieds sa dignité impériale et se vautrer dans la débauche et la perversité des plus corrompus.
L’un de ceux-là, un affranchi, bouffon, entremetteur, histrion du nom de Pâris, s’approcha de Néron et lui annonça qu’un complot se tramait. L’âme en était Agrippine ; l’instrument, Rubellius Plautus ; l’allié, Burrus, oui, Burrus, le propre conseiller de l’empereur, le mutilé, le manchot, l’intègre et dévoué Burrus, de mèche sans doute avec l’affranchi Pallas. Et peut-être, dans l’ombre de ce premier complot, un autre prenait-il déjà forme autour de Faustus Cornélius Sulla Félix. Les conjurés avaient à leur côtés les filles de l’empereur Claude, Antonia et Octavie.
— Ta propre épouse, Néron ! avait précisé Pâris.
L’empereur s’était levé, renversant flacons, amphores, gobelets, entraînant sa garde qui frappait tous ceux qu’elle croisait en chemin.
— La mort, la mort pour eux tous ! répétait Néron en se mordillant le pouce, ses cheveux mi-longs tombant sur son front, lui cachant en partie les yeux.
Il avait convoqué Sénèque au palais. Alors que l’aube dissipait les peurs de la nuit et faisait rentrer les scorpions dans leur nid, celui-ci – il m’en fit le récit – avait su lui raconter que, même si Agrippine rêvait du pouvoir, d’aucuns cherchaient plus sûrement à la compromettre. On voulait que Néron la fit disparaître afin de pouvoir accuser le fils de matricide – la plèbe et les prétoriens révoltés par ce crime se dresseraient alors contre lui.
Ces complots, il convenait donc de les déjouer avec prudence.
— Il ne faut pas qu’en écrasant le scorpion on lui permette de vous piquer, avait dit Sénèque.
Il avait aussi défendu Burrus.
— Un homme d’élite né pour t’avoir comme prince, Néron !
L’empereur avait écouté, puis avait décidé de se rendre avec ses centurions et ses conseillers chez sa mère afin de lui rapporter les rumeurs, les événements de la nuit, et de l’obliger à se défendre. Elle comprendrait ainsi qu’elle pouvait passer aux yeux de son fils pour une coupable.
Agrippine avait réfuté toutes les accusations. Elle n’était victime que de la jalousie et d’un excès de tendresse pour son fils, avait-elle dit. Véhémente, elle s’était écriée :
— Que se dresse quelqu’un pour prouver que j’ai essayé de corrompre les cohortes de Rome ou d’entraîner les provinces à se révolter, que j’ai incité au crime des esclaves et des affranchis !
Elle avait sollicité une entrevue en tête à tête avec Néron.
— Je ne puis être absoute que par mon fils, l’empereur, avait-elle conclu.
Néron s’était incliné et l’avait suivie, homme-enfant redevenu docile, marchant derrière cette mère qui l’avait conçu, cette femme dont il avait partagé la litière, cette génitrice qui voulait le garder en elle, pour elle.
Et qui l’avait une nouvelle fois soumis.
21
J’ai donc vu une nouvelle fois l’empereur pénétrer dans la chambre d’Agrippine.
Comment ne pas se demander si Néron pourrait un jour ne plus être soumis à cette femme dont il était à la fois le fils et l’amant, à laquelle il devait la dignité impériale, dont il avait été à plusieurs reprises le
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