Néron
de ces armes serait une jeune femme, Poppée, dont l’impérieuse beauté avait fasciné tous ceux qui l’avait vue s’avancer vers Néron à la fin de cette journée d’été qui s’étirait, teintant d’un rose mordoré les colonnes, les dalles de marbre et les statues des grandes salles du palais impérial.
Elle cachait une partie de son visage et ses cheveux blonds sous des voiles blancs parcourus de fils d’argent. Elle marchait aux côtés de son dernier époux, Otho, l’un de ces jeunes gens qui avaient partagé avec Acté les nuits de débauche de Néron.
Mais, à l’instant où parut Poppée, je compris que c’en était fini de l’attrait qu’Acté avait pu exercer sur l’empereur. Acté, l’affranchie, la compagne soumise des perversions de Néron, était comme effacée, rayée d’un trait par cette apparition.
Poppée appartenait à une ancienne famille sénatoriale rivale de celle d’Agrippine. Elle était de la trempe de cette dernière. Ambitieuse et féline, intelligente, ayant vécu dès l’enfance parmi les hommes de pouvoir, elle ne pouvait imaginer de partager sa vie avec un mari ou un amant qui n’eussent pas appartenu au cercle étroit des puissants.
Voire, parmi eux, celui qui en occupait le centre, l’empereur Néron.
Quand je vis Néron poser son émeraude contre son œil droit afin de mieux voir Poppée s’approcher, je sus qu’il était pris dans les rets de cette femme et qu’Agrippine avait enfin trouvé une adversaire à sa mesure, qui sans doute la laisserait vaincue.
Que pourrait-elle contre Poppée, qui connaissait toutes les intrigues, tous les vices, dont le sang était noble et qui entendait venger sa famille en triomphant d’Agrippine ?
C’est à peine si la jeune femme avait incliné la tête en s’immobilisant devant Néron, mais ses voiles avaient glissé, découvrant son profil aux lignes pures, la blancheur de sa peau.
L’on disait déjà qu’elle passait une partie de sa journée à prendre soin de son corps, de sa beauté, exigeant qu’on remplît chaque jour une vasque avec le lait de cinq cents ânesses afin qu’elle pût s’y baigner à loisir.
À côté d’elle, Otho n’était qu’un époux de parade, présentant sa femme à l’empereur comme on offre un tribut. À moins que Néron ne se fut servi de lui, le mariant à Poppée pour que celle-ci pût paraître à la cour en feignant de n’être que l’épouse du proche compagnon de l’Empereur ?
Mais il a suffi de les voir face à face pour que l’on se convainque que rien, aucune convention, aucun lien, filial ou matrimonial, ne résisterait à la beauté de Poppée.
J’ai vu le rictus d’Agrippine qu’elle tentait de masquer en sourire mais qui lui déformait les traits. J’ai vu ses poings se fermer, et j’ai imaginé ses ongles noirs s’enfonçant dans ses paumes.
La tête rentrée dans les épaules, toute son attitude exprimait une jalousie rageuse et désespérée. Elle aussi savait que la partie qui s’engageait serait la plus rude, que ce cordon de chair et de sang qu’elle avait maintenu et qui la liait à Néron pouvait pour la première fois être sectionné.
Elle se mordillait les lèvres, serrait les mâchoires. Elle ne baissait pas les yeux, voulant relever le défi et voir, tout voir de cette femme qui, sans un geste, par sa seule présence, sa beauté fulgurante, s’emparait de Néron.
Debout près d’Agrippine, Octavie, l’épouse de l’empereur, avait détourné le regard comme si elle acceptait déjà son sort. Tout comme elle avait déjà subi, en dissimulant sa peine, la mort de Britannicus, restant à sa place parmi les convives du banquet cependant que se figeait le corps empoisonné de son frère.
Elle-même demandait seulement qu’on lui laissât la vie.
Mais Octavie était l’arme et le bouclier d’Agrippine, elle qui, épouse et fille d’empereur, entendait bien interdire à Néron de prendre Poppée pour femme.
Agrippine la protégeait. Leurs destins étaient liés. Mais, Agrippine vaincue, Octavie ne serait plus qu’une frêle épouse que Néron pourrait répudier d’un bref mouvement de la main.
J’ai regardé Agrippine.
Elle fixait Néron et Poppée.
Les deux femmes se ressemblaient, toutes deux aussi déterminées, l’une plus jeune, l’autre plus experte. De celle-ci on eût dit une statue qu’on ne peut déplacer et qu’il faut donc briser.
22
En observant Poppée, en l’écoutant,
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