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Néron

Néron

Titel: Néron Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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les combats se terminer par la mort – n’étaient-elles pas autant de preuves que l’empereur écoutait son conseiller, aspirait à un bon gouvernement ?
    Il fallait, poursuivait Sénèque, comparer Néron aux empereurs qui l’avaient précédé : Caligula, que la folie avait aveuglé ; Claude, qui avait fait enfermer et coudre dans un sac plus de gens, en cinq ans, qu’il n’y en eût qui le furent, nous apprend l’histoire, au cours de tous les siècles écoulés ?
    Qu’avait-on de grave à reprocher à Néron ? Il respectait le Sénat. Il était clément, se retenait au moment de punir. Il aimait jouer de la cithare et chanter. Était-ce preuve de folie ? de démesure ?
    Il avait appelé auprès de lui Terpsus, le citharède le plus en vogue. Il restait assis près de lui jusqu’à une heure avancée de la nuit à écouter, à apprendre, à répéter. Il supportait sur sa poitrine, lorsqu’il se couchait, une feuille de plomb afin de préserver sa voix. Il avait fait bannir de ses dîners des fruits et des mets qu’il croyait néfastes à un chanteur. Il prenait des lavements et des vomitifs pour se dégager le corps, s’éclaircir la gorge.
    Tout cela n’était ni d’un fou ni d’un empereur injuste, mais révélait le goût des arts chez un homme d’à peine dix-neuf ans qui rêvait, il est vrai, de se produire lui-même sur scène parce que, disait-il, de « musique cachée on ne fait point cas ».
     
    J’interrompais Sénèque. Je lui rappelais les équipées nocturnes de son élève, ses violences, ses perversités, la débauche à laquelle il s’adonnait en compagnie d’Acté et de ses deux jeunes compagnons au corps épilé, Otho et Claudius Senecio.
    Plus bas, car il me semblait que, dans ce palais, l’obscurité était peuplée de délateurs, je rappelais à Sénèque comment Néron avait souillé Britannicus, comment il avait partagé la litière de sa mère Agrippine, comment il s’était ainsi montré doublement incestueux.
    Sénèque se tut longtemps, mains jointes devant ses lèvres, coudes appuyés sur sa table.
    — Le sage doit acheter ce qui est à vendre, lâchait-il enfin.
     
    J’insistais.
    Comment Sénèque pouvait-il dire et écrire que Néron était un empereur solaire fils d’Apollon, l’égal des pharaons, de ces rois-dieux dont il avait étudié l’histoire lors de son séjour en Égypte et dont Chaeremon avait conté à Néron les exploits et les privilèges ?
    Sénèque eut un geste de la main, doigts dressés, comme pour montrer qu’il gardait sa liberté de jugement.
    — Il faut servir les hommes, marmonnait-il, et donc, pour un philosophe, conseiller le prince, tenter de l’adoucir. Le sage doit savoir que l’homme est fait pour l’action, mais il doit aussi ne pas être dévoré par elle, et rester détaché.
     
    Il se penchait vers moi, le visage éclairé par la lumière de la lampe, et je distinguais toutes ses rides comme la trace d’autant de questions.
    — J’essaie d’adoucir Néron, t’ai-je dit, reprenait-il. Mais je n’ignore pas qu’il est d’un naturel cruel et monstrueux. Je crains que lorsque ce lion féroce aura goûté au sang humain il ne retrouve sa cruauté naturelle. Que pourrai-je faire alors ? Qu’adviendra-t-il de moi, de mes amis, et donc de toi, Serenus ?
     
    Il s’était reculé, le visage à nouveau dissimulé par l’obscurité, ses mains dessinant dans la clarté jaune de la lampe à huile des arabesques comme pour envelopper les phrases qu’il prononçait à mi-voix, si bas parfois qu’il me fallait me pencher pour les entendre.
    — Je ne t’ai jamais parlé de ce rêve, Serenus…
    Ses mains s’étaient immobilisées comme pour en retenir le souvenir.
    — À mon retour d’exil, lorsque j’ai su qu’Agrippine voulait que je me tienne auprès de Néron pour l’élever, l’enseigner, chaque nuit j’ai fait le même rêve qui me réveillait. Je m’avançais vers le jeune prince dont je ne discernais pas le visage. Je le saluais. À ce moment-là, il se tournait vers moi et je découvrais qu’il ne s’agissait pas de Néron, mais de l’empereur Caligula qui s’approchait et me répétait : « Je veux ta mort, Sénèque, je veux ta mort ! »
    Sénèque s’était levé, tout entier enfoui dans la pénombre, mais sa voix soudain m’avait paru plus forte.
    — La première nuit, je n’ai pu me rendormir. Mais, les nuits suivantes, il ne m’a plus troublé qu’un instant.

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