Néron
venus de Rome avec les courtisans, les conseillers, les sénateurs, les compagnons de débauche.
Au premier rang se tenaient Tigellin, Poppée et l’autre « épouse » de Néron, ce Sporus paré comme l’impératrice, maquillé, et qui ressemblait si bien à Poppée, comme si Néron avait voulu créer avec cet homme châtré le double scandaleux de sa femme.
Je n’avais jamais vu Néron dans un tel état d’exaltation.
Il s’inclinait, esquissait une danse, seul sur la scène du théâtre. Il saluait les spectateurs regroupés selon leur origine, habitants des villes de Campanie ou d’Alexandrie, Grecs ou citoyens de Naples. Il déclamait, chantait, et rien ne semblait pouvoir l’interrompre.
Au troisième jour, le théâtre a tremblé, mais il a ignoré le frémissement de la terre et a poursuivi jusqu’au bout son tour de chant. Et personne n’a osé fuir.
Le cinquième jour, il a dîné au milieu de l’orchestre en présence de la foule qui l’acclamait. Et c’est en grec qu’il s’est adressé à elle.
— Je vais faire retentir quelque chose de bien plein dès que j’aurai un peu bu, a-t-il dit.
Peu après, il est remonté sur scène et a chanté jusqu’au matin.
Par leur seule présence, les prétoriens, les Augustiani, les néroniens empêchaient quiconque de quitter le théâtre.
Le septième jour, alors que le spectacle venait de se terminer et que le théâtre était vide, les gradins et les murs se sont effondrés dans un grand fracas, soulevant un nuage de poussière.
La foule s’est rassemblée autour des décombres. Était-ce un mauvais présage ? Personne n’a osé répondre à cette question ni même la poser.
Des milliers d’esclaves, encadrés par les prétoriens, avaient déjà commencé à déblayer les gravats, à installer des bancs, à reconstruire une scène, et, dès le lendemain, Néron chanta sa reconnaissance aux dieux qui avaient voulu montrer leur puissance et leur bienveillance, puisque le théâtre avait été détruit par leur volonté sans qu’un seul spectateur fut blessé. Ils avaient ainsi manifesté qu’ils plaçaient l’empereur et ces jeux sous leur protection.
« Néron est le fils divin d’Apollon ! » ont lancé les Augustiani.
Et la foule a répété ce cri cependant que l’empereur ôtait son masque et montrait son visage rouge de plaisir.
Il était comme un homme ivre que son entourage invite à continuer de boire tout en applaudissant à ses outrances.
Il dansait. Il déclamait. Il titubait. Il réclamait une cithare ou une lyre, et, sur quelques accords, il improvisait un poème qui suscitait des exclamations enthousiastes.
Alors il semblait perdre la tête, et, oublieux des promesses qu’il avait faites, il déclarait qu’il voulait traverser la mer Adriatique, se rendre en Achaïe, faire retentir sa voix là où les artistes grecs, au temps de la splendeur athénienne, avaient joué et concouru.
On l’approuvait.
Et le cortège nuptial s’ébranlait, quittant Rome pour Bénévent.
J’ai rencontré là l’un des êtres les plus monstrueux et les plus ignobles que j’aie jamais vus. Il se nommait Vatinius.
Il s’est avancé vers Néron et il m’a semblé voir glisser un reptile.
Le corps difforme, la tête énorme, les yeux exorbités, le cou comme absorbé par les épaules, les bras et les jambes courts et torves, comme si on avait voulu les lui briser, il ne marchait pas, mais tantôt rampait, tantôt sautillait, oscillant aussi de droite et de gauche, plus bestial qu’humain.
Je l’avais déjà aperçu à Rome au palais impérial où il était l’un des bouffons de Néron.
L’empereur et, à sa suite, les courtisans s’étaient moqués de lui. Il avait tenu le rôle qu’on lui avait ainsi assigné, puis, un jour, profitant d’un moment de silence, il avait lancé un nom, « Torquatus Silanus », qu’il avait accompagné d’un grand éclat de rire.
Néron l’avait fixé tout à coup d’un air grave, le menaçant de le faire écorcher vif s’il ne donnait pas les raisons de cet éclat de rire, car Torquatus Silanus était un homme riche, descendant de la famille de Jules César, apparenté ainsi à Néron et donc un rival possible.
Langue pendante, bave aux lèvres, Vatinius avait répondu en ricanant que Silanus se vantait d’avoir le dieu Auguste, le grand fondateur, comme trisaïeul. Que sa maison était un palais impérial et que ses affranchis y portaient les mêmes titres que
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