Néron
ceux qui servaient Néron. Silanus disposait de secrétaires chargés de la correspondance, des requêtes, des comptes.
— Tout comme tu as les tiens, fils d’Apollon, avait ajouté Vatinius d’une voix sifflante. Il dit que lui est fils d’Auguste, et qu’il est donc ton égal.
Puis Vatinius avait reculé.
— Tu est le seul empereur, Néron, mais Silanus joue ton rôle comme au théâtre.
On avait appris peu après que les affranchis de Torquatus Silanus avaient été arrêtés, enchaînés, torturés. Ils avaient avoué que leur maître espérait succéder un jour à Néron et qu’il préparait et attendait ce moment avec impatience, conspirant avec des sénateurs.
Lorsqu’il avait appris les accusations dont il faisait l’objet, Torquatus Silanus avait devancé les tueurs. Il s’était ouvert les veines du bras, et le sang s’était écoulé lentement, remplacé peu à peu par le froid de la mort.
Néron avait voulu voir le corps. Il l’avait retourné en le poussant du pied, puis avait déclaré d’un ton enjoué que Silanus avait eu tort de ne pas attendre le verdict des juges. Certes, il aurait eu de la peine à se défendre, mais il eût pu compter sur la clémence de l’empereur.
Néron avait ensuite fait l’éloge de Vatinius, le monstre délateur, auquel il faisait don de villas et de domaines dans la région de Bénévent, là où je le retrouvai, plus repoussant encore, les yeux brillants de vanité et de puissance, s’agenouillant devant Néron comme seul un bouffon ou un esclave pouvaient le faire, offrant à l’empereur d’assister à un spectacle de gladiateurs préparé à son intention.
C’était comme si on avait présenté à Néron un verre de vin rare. Il s’était rendu à l’amphithéâtre, Vatinius courant devant lui, animal fidèle glissant et bondissant devant son maître, présentant les deux cents paires de gladiateurs qui allaient combattre. Et Néron s’était mis à renifler comme s’il cherchait déjà à respirer l’odeur du sang.
Le sang coula des torses et des gorges de ces hommes aux membres liés que Vatinius offrait à des fauves ou à d’autres hommes tout aussi carnassiers, mais plus cruels que des tigres.
Son ventre rebondi gonflant son ample tunique, Néron riait aux contorsions des proies que les griffes ou les crocs – des hommes ou des fauves – déchiraient.
Puis j’ai vu Tigellin se pencher et chuchoter quelques mots à Néron qui se leva, demandant d’un geste qu’on fit mourir tous ceux qui se battaient encore. Après quoi il se retira.
Ce n’est que quelques jours plus tard que j’ai compris les raisons pour lesquelles Néron était rentré à Rome, renonçant à traverser la mer Adriatique.
À Rome, la plèbe s’inquiétait et murmurait.
Le temps des moissons était proche.
Il fallait que l’empereur se rendît sur le forum, au temple de Vesta où, grand pontife, il avait seul le droit de pénétrer. Et la plèbe attendait qu’il fit cette visite, qu’il sacrifiât à Vesta afin d’obtenir d’elle qu’elle offrît au peuple de Rome de fructueuses récoltes. Il devait accomplir ce rite s’il voulait que le calme régnât dans les rues. Les témoins qui l’ont vu entrer puis sortir du temple de Vesta ont eu l’impression que l’homme avait changé de visage.
Ce n’était plus le Néron rayonnant, assuré, presque moqueur, qui était apparu entre les colonnes, mais un homme chancelant, tremblant d’effroi.
Il confia que, dans le temple, une main inconnue, peut-être celle de Vesta, l’avait retenu par un pan de sa toge. Une brume grise et dense avait envahi l’édifice et les spectres d’Agrippine et de Britannicus, d’Octavie et de bien d’autres l’avaient entouré.
Il avait ainsi tremblé devant toute la plèbe assemblée qui attendait son discours et s’étonnait de son long silence, de sa pâleur, des tics qui déformaient ses traits, du mouvement instinctif de ses épaules.
Enfin il s’est mis à parler, disant qu’il avait compris les inquiétudes du peuple romain. Il avait lu la tristesse sur le visage des citoyens. Il se devait de les rassurer, de ne pas accroître leurs craintes en s’éloignant de Rome. Il allait organiser plusieurs distributions de grain et de vin. Car Vesta lui avait promis d’heureuses et abondantes moissons.
Il avait à cœur d’offrir le bonheur à son peuple, de le partager avec lui.
La plèbe l’avait acclamé, remercié, et Néron avait eu
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