Néron
tôt fait de recouvrer toute son assurance et son insouciance.
Mais la mort n’est pas versatile comme la plèbe. Elle ne s’était pas laissé séduire.
Dans les jours qui suivirent, la rumeur se répandit que Néron avait tué son épouse dans un accès de colère, alors que Poppée l’accablait de reproches. Elle était malade, enceinte d’un nouvel enfant de l’empereur, avait-elle dit, et il continuait ses débauches sans elle, s’offrant comme une femme à des éphèbes, à cet affranchi, Pythagoras, dont Néron voulait être l’épouse. Et c’était infamant qu’un empereur se laissât ainsi chevaucher comme une putain par un mâle.
Néron l’avait frappée, lui décochant de violents coups de pied dans le bas-ventre, et elle s’était bientôt effondrée, morte.
Puis il s’était répandu en lamentations, jurant qu’elle était la seule femme digne de son amour, qu’il voulait pour elle des obsèques somptueuses, qu’il prononcerait l’éloge de Poppée afin que les dieux l’accueillissent.
Ainsi fut fait.
Je l’ai vu.
Néron, entouré par les sénateurs, récita des poèmes en l’honneur de Poppée. Au fur et à mesure qu’il déclamait, que l’exaltation le gagnait, que les acclamations, malgré les circonstances funèbres, saluaient chacun de ses vers, j’ai vu sa tristesse s’effacer, sa vanité s’épanouir. À la fin de la cérémonie, il clama qu’il voulait que dans tous les lieux publics de Rome on organisât des banquets pour célébrer le souvenir de Poppée, mais aussi pour signifier que Néron était heureux de vivre au milieu de ce peuple de Rome qu’il chérissait à l’égal de sa défunte épouse.
Habile et pervers Néron !
Sénèque ne pouvait s’empêcher d’admirer son ancien élève. Il était fasciné par la duplicité de ce tyran qui savait flatter la plèbe, terroriser les puissants, s’abandonner à ses penchants, réussir même à se faire acclamer par la foule lorsqu’il s’y livrait devant elle.
— Il n’est pas seulement craint parce qu’il détient le pouvoir impérial et qu’il est ainsi, pour la plèbe, un personnage sacré, le grand pontife, fils d’Apollon, me dit Sénèque. Il est aimé, Sere-nus, pour ce qu’il est, pour ce qu’il ose montrer de lui. Tu as entendu les acclamations, à Naples ? Dans quelques mois, la plèbe de Rome l’accueillera en triomphe quand il entrera sur scène ou conduira un char sur la piste du cirque.
Elle le saluait déjà comme un prince bienfaiteur quand il parcourait les rues de Rome, allant d’un banquet à l’autre, s’assurant qu’on avait distribué le vin et les victuailles. Lui passait, marchant d’un pas lent, protégé par ses prétoriens, ses cavaliers germains, entouré par les Augustiani et les néro-niens.
Je l’ai ainsi suivi jusqu’au champ de Mars.
Là, autour de l’étang d’Agrippa, Tigellin offrait un banquet en l’honneur de Néron.
Jamais je n’avais assisté au déploiement d’un tel faste, à l’organisation publique d’une telle débauche.
L’étang et le champ de Mars étaient devenus un immense lupanar où tous les vices étaient mis en scène avec extravagance.
Le festin se tenait sur un radeau tiré par d’autres bateaux. Les embarcations étaient ornées d’or et d’ivoire. Les rameurs avaient la beauté provocante des mignons qu’on avait rangés selon leur âge et leur spécialité dans l’érotisme. On disait que Tigellin les avait fait rechercher dans tout l’Empire, de l’Orient à la Bretagne, de l’Espagne aux pays du Danube, d’Arménie à la Gaule narbonnaise.
Dans des cages placées sur des ponts voletaient des oiseaux ou somnolaient des fauves venus de toutes les provinces.
Dans l’étang nageaient des animaux marins amenés depuis l’océan.
Les citharèdes accompagnaient les chants. On aperc,evait sur l’une des rives de l’étang des maisons éclairées comme des lupanars. Les dames de la noblesse s’y pressaient, ayant obéi avec enthousiasme aux ordres de Néron. Sur la rive opposée se promenaient des prostituées nues.
Il suffit de quelques instants pour que la débauche mêlât les corps. À la nuit tombée, on les devinait à la lueur des torches et des lampes qui éclairaient maisons et bosquets.
Les embarcations avaient été tirées sur les rives et les rameurs, nus eux aussi, s’étaient dispersés tout autour de l’étang.
Néron était entouré par plusieurs mignons que surveillaient les
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