Néron
gauche, l’observa, balança, décida enfin, avant de la livrer aux bourreaux, d’attendre, de la garder en prison et de laisser ainsi, si la conjuration était bien réelle, les complices se découvrir puisqu’ils allaient craindre qu’Epicharis ne les livrât.
Lorsque j’appris l’arrestation d’Epicharis, épouse de Mêla, je fus sûr que Sénèque, compromis une nouvelle fois, n’échapperait pas aux tueurs de Néron.
Et j’ai espéré que les conspirateurs réussissent.
Mais celui qui avait décidé de porter le premier coup, le sénateur Scaevinus, n’était qu’un bavard aussi téméraire qu’imprudent. Il faisait aiguiser son poignard, dérobé dans le temple de la Fortune, par l’un de ses affranchis, Milichus. Il ordonnait qu’on préparât des bandes pour étancher le sang qui coulerait des blessures que lui infligeraient les prétoriens. Il banquetait, répétant que c’étaient peut-être les derniers mets qu’il s’offrait. Il libérait certains de ses esclaves et rédigeait son testament. Il rencontrait un autre conjuré, Natalis, et tous deux parlaient longuement, comme des conspirateurs de théâtre, sous les yeux de Milichus, qui, comme tous les affranchis, avait conservé l’âme calculatrice et veule d’un esclave.
Et qui livra son maître à l’affranchi de Néron, Epaphrodite.
Scaevinus, arrêté, nia avec superbe.
— Quelle conspiration ? hurla-t-il. C’est là calomnie d’un délateur, Milichus, un affranchi qui veut s’emparer de mes biens !
On dit que Néron a hésité.
Il a dévisagé longuement Scaevinus et l’a fait emprisonner sans lui faire subir la torture.
Puis il s’est approché de Natalis.
Celui-ci tremblait. Il était l’ami de Pison.
Peut-être Néron s’est-il alors souvenu de son oracle Balbilus qui lui avait conseillé, lors du passage d’une comète, de frapper des personnages illustres afin de détourner sur eux la fureur des dieux et les effluves maléfiques de la comète. Une comète traversait le ciel de Rome et Pison était illustre.
On chargea Natalis d’une triple rangée de chaînes.
Les bourreaux s’approchèrent avec leurs pinces, leurs tenailles, leurs épieux rougis au feu et leurs fouets aux lanières de cuir alourdies de boules de métal.
Et Natalis, avant même qu’on l’eût touché, commença à parler.
On était dans la nuit du 17 au 18 avril. Les conjurés avaient décidé de tuer l’empereur le 19.
Comme l’avait prédit Sénèque, Néron frapperait avant eux.
40
Qui pouvait espérer la clémence de Néron ?
La peur lui déformait le visage. Elle devenait rage et cruauté. Il se tordait les mains, faisait craquer ses phalanges, penché sur Natalis et Scaevinus, l’un et l’autre agenouillés, écrasés par la triple rangée de chaînes qui entravaient leurs membres, faisaient ployer leur nuque, courbaient leur échine.
Torse nu, les bourreaux rôdaient autour d’eux, attendant un geste pour lacérer les deux prisonniers.
Mais ils parlaient, livrant les noms qu’il connaissait. Natalis, sachant la jalousie haineuse qui animait Néron, lâcha le nom de Sénèque et celui de Lucain. À quoi Scaevinus ajouta d’autres noms.
Néron gardait la tête enfoncée dans ses épaules, jetant autour de lui des regards méfiants comme s’il craignait que l’un des préteurs de sa garde ne bondît sur lui, le glaive levé.
Il quittait à reculons les souterrains où l’on avait enfermé Natalis et Scaevinus. Il traversait les salles de sa Maison dorée en rasant les cloisons.
Il s’arrêtait tout à coup, s’adossait à une statue de César, puis s’en écartait d’un bond comme s’il se souvenait que César était mort poignardé au pied de la statue de Pompée.
Il s’enfermait dans l’une des pièces, y convoquait Tigellin, ses affranchis, ses proches, disait qu’il fallait que les prisonniers livrassent les noms de tous leurs complices sans exception.
Il fixait tour à tour ses délateurs, ses affranchis, Tigellin, les tribuns de ses cohortes, et ajoutait :
— Ils ont partout des complices !
Il tapait violemment du talon sur les dalles.
— Qu’on les arrête, qu’on les torture, qu’on les écrase ! hurlait-il, le visage couvert de sueur.
Brusquement il souriait, tout son corps se détendait. Il respirait comme lorsqu’on reprend souffle après une course.
— J’oubliais Epicharis, l’épouse de Mêla…
Il se frottait les mains.
— Elle a le corps tendre
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