Nice
le
ton : « Que le nom du vieil empereur François-Joseph soit maudit. »
Dans une conférence à la Préfecture avec les parlementaires, Ritzen avait
affirmé sans inquiétude : « Il n’y aura pas une seule défection,
croyez-moi. »
— Vous êtes sûr ? demandait Merani. Les
socialistes…
— Il n’y a plus de socialistes, monsieur le Député, il
n’y a que des Français.
— Karenberg…
— Je parle des Français. Celui-là, s’il bouge…
À la section socialiste, Karenberg avait été isolé. Borello,
l’instituteur, s’était enflammé, accusant Karenberg d’aristocratie, d’esprit
étranger : « Tu ne comprends rien à notre patriotisme, il faut débarrasser
l’Europe de l’Empire allemand, et donner aux Germains notre goût de la liberté. »
« Avec l’aide du Tsar, ce grand républicain ? », avait demandé
Karenberg. Les socialistes l’avaient expulsé de la section. Sauvan avait eu un
peu plus d’écho à la Bourse du travail, mais quand une cinquantaine de jeunes
gens avaient manifesté devant les locaux, aux cris de « Vive la guerre »,
que Sauvan était descendu dans la rue, hurlant : « Vive la Paix, Vive
Jaurès », ses camarades l’avaient laissé malmener, n’intervenant qu’au
moment où il allait être assommé.
— Le patriotisme l’emporte partout, commentait Ritzen.
Les événements lui donnaient raison. Pas un de ces suspects
d’anti-militarisme dont le carnet militaire était marqué d’une lettre B,
n’avait été arrêté. Malvy, le ministre de l’intérieur, avait fait confiance au
sentiment national.
« J’ai eu un cas, un seul », expliquait Ritzen
quelques jours plus tard à Merani qui l’avait invité à une « soirée
patriotique ».
— Un Parisien, du syndicat des électriciens, continuait
Ritzen, finalement nous lui avons tiré l’oreille et il est parti, comme tout le
monde ? Je suis sûr qu’il fait son devoir.
Merani s’excusa auprès de Ritzen. Le général Tourmelin
venait d’entrer avec quelques officiers de son état-major. Elisabeth
d’Aspremont, en longue jupe bleu marine, une croix rouge brodée au-dessus de la
poitrine, l’accueillait, le général s’inclinant devant elle.
— Votre initiative, Madame… commençait-il.
Merani avait incité sa femme à constituer un Comité d’aide
aux blessés et à leur famille. Elle rassemblait les fonds, les bonnes volontés,
et ce soir, le Comité recevait les personnalités niçoises.
— C’est un grand honneur, mon général, disait Merani.
Il présentait Tourmelin au directeur de l ’Éclaireur, un homme rond, d’une soixantaine d’années.
— Je suis très heureux de vous connaître, disait le
général. Votre article, l’autre jour, après la cérémonie à l’église du Port,
exprime parfaitement mon sentiment. La Marseillaise peut enfin se mêler
aux chants liturgiques. Savez-vous que je sens pour la première fois depuis l’affaire
Dreyfus, j’étais jeune capitaine, que l’armée est unie au gouvernement sans
réserve, je vous le dis, mon cher, cette guerre a pour la France des
conséquences que j’ose appeler heureuses et inespérées. Mais oui.
— C’est une guerre sainte, dit le maire Girard en
s’approchant. Mon fils m’écrit que les soldats sont admirables, mais je crois
que les populations ne le sont pas moins, toutes ces mères, ces épouses,
l’autre jour à la gare, quand les blessés sont arrivés, quelle dignité.
— Nice est grecque, mon cher Girard, dit Merani.
— Toute la France, dit le général.
Merani retrouva Ritzen peu après. Le commissaire était à
l’écart, loin du buffet, paraissant regarder une femme qu’entourait un groupe
de jeunes officiers de chasseurs.
— Toujours aussi belle, n’est-ce pas ? Bien sûr
vous savez que son mari est passé en Suisse, avec sa fille. Helena est
admirable, il y a près de cent blessés à l’hôtel Impérial.
— Admirable ? disait Ritzen, vous croyez ?
— Mais si, mais si, elle s’occupe de tout, est-ce que
vous avez vu ces blessés ? Il faut du cran, ils arrivent dans un tel état.
Mais elle est russe, ce sont des gens extraordinaires.
Ritzen faisait une moue.
— Le frère, naturellement, continuait Merani. Vous
m’avez dit vous-même qu’il n’a aucune influence. Sa femme, Peggy Wood, doit
venir ce soir, elle est de notre Comité, quant à lui, sérieusement, Ritzen,
vous auriez mille fois plus de raisons d’être socialiste
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