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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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bientôt comme trempé dans du
vin rouge.
    « Nos étendards tordus dans les larmes, reprend
Clemenceau, déchirés des obus, magnifique apparition de nos grands morts. »
    Les morts recroquevillés, tassés, comme une éponge serrée
dans la main.
    Ritzen se leva alors que Clemenceau continuait à parler :
« Ce jour il est dans notre pouvoir de le faire… » disait-il.
    — Qu’est-ce qu’il y a, demanda Yveton, le chef du
cabinet du ministre de l’intérieur, vous n’attendez pas ?
    — Ma blessure, dit Ritzen, il faut que…
    La cuisse lui faisait effectivement mal comme si la plaie se
déchirait à nouveau. Il fit quelques pas en boitant dans les couloirs de la
Chambre, la lettre de Pierre toujours ouverte dans sa main, les
applaudissements déferlant, sans doute pour saluer la fin du discours.
    Peu après des groupes se formèrent dans les couloirs. La
séance ne reprenait qu’une heure plus tard pour le vote de confiance. Ritzen
aperçut Merani, le visage empourpré, mais il l’évita, incapable ce soir de
supporter les amertumes, les enthousiasmes du député de Nice qui allait
expliquer encore qu’il fallait au pays la poigne d’un jacobin comme Clemenceau
et qu’il s’étonnait que lui Merani n’ait pas été pressenti pour le ministère de
la Marine, les intrigues, les…
    Pierre avait peut-être rejoint les premières lignes par ces
tranchées profondes où l’on se perd. La terre retournée est faite de casques et
de crosses, d’os et d’acier. En passant, les jeunes soldats n’osaient pas
comprendre qu’ils s’enfonçaient dans un pays carnivore. Ils avançaient en file,
se serrant les uns contre les autres, colonne moutonnante.
     
    Ritzen rentrant chez lui dans les deux pièces sombres que le
Ministère avait mises à sa disposition, s’aperçut qu’il avait gardé la lettre
de Pierre à la main, tout au long du boulevard Saint-Germain, balayé par une pluie
intermittente.
    Il la posa sur le bureau, écartant du bras les dossiers, les
rapports confidentiels des préfets, des officiers de renseignement qui écrivaient,
« Le moral de la troupe doit être incontestablement la préoccupation
majeure du gouvernement. La lassitude… ».
    Ritzen défit ses jambières de cuir, prit une feuille de
papier qu’il lissa du plat de la main : « Mon cher Pierre… »
    Il fallait dire : « Ne meurs pas. »
    Il fallait dire : « Cette terre est déjà trop
grasse, que lui apporterait ta vie ? »
    Ritzen raya une phrase. Comment écrire ne meurs pas ?
Il prit une autre feuille.
    « Mon cher Pierre. »
    « Je ne reçois ta lettre qu’aujourd’hui. Elle m’a suivi
du bataillon jusqu’à Paris. Je viens d’assister à la séance d’investiture du
président Clemenceau. Tu sais que de nombreux liens m’attachent à lui, et il y
a dans ce vieillard de soixante-seize ans l’énergie d’un jeune homme. Il est
indomptable et conduira le pays à la victoire, j’en suis sûr… »
    Ne meurs pas.
    Les phrases étaient des barreaux scellés que Ritzen ne
réussissait pas à écarter. À peine s’il réussissait à passer une main, à écrire :
    « Maman, tu le sais, a été très affectée par ton
engagement. Je te demande de veiller sur toi, de penser à elle. La Patrie aura
besoin demain de jeunes hommes comme toi. »
    La patrie, cette jubilation de Clemenceau quand Ritzen
l’avait revu « Je vous l’avais dit, Ritzen, il fallait qu’ils plient et
maintenant nous allons nettoyer tout ça, Malvy, Caillaux, Messieurs les anciens
ministres, Messieurs les pacifistes, nous allons avoir leur peau, Ritzen, fini
la fête ».
    La fatigue broyait la nuque de Ritzen, faisait battre les
tempes comme si le tambour roulait proche. Tant de bruit quand le couperet
tombe sur le cou d’un assassin et voici que des milliers…
    Il les avaient vus ces nettoyeurs de tranchées affectés au
bataillon avant l’attaque. On leur distribuait des couteaux de bouchers. Ils se
tenaient à l’écart, buvant leur gnôle à même la gourde. Quand la vague d’assaut
était passée au-dessus de la ligne ennemie, ils arrivaient, silencieux, faisant
le guet à la sortie des abris, l’avant-bras dressé, prêt à frapper entre les
omoplates, à pousser le corps de la main gauche pour que le soldat suivant…
    Ritzen feuilleta quelques dossiers, s’attarda à celui qui
concernait les Alpes-Maritimes, reconnaissant des noms, Sauvan, Karenberg,
Piget, puis il s’endormit, le visage sur

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