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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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qu’il allume le
cigare, puis remettant le verre, elle avait laissé la flamme courte, presque
morte. « Tu viendras ? Je suis toujours au café de Turin. »
    Carlo s’était installé derrière l’église du port, chez
Madame Oberti. Un vieux tailleur de pierres de la région de Carrare lui avait
donné l’adresse. « Va de ma part, Nucera, je suis resté chez elle deux
ans, elle fait crédit, tu manges le soir, elle te prépare la gamelle pour le
chantier, une femme qui te vole pas, elle est de ton pays. »
    Madame Oberti avait un rez-de-chaussée, une cour, un jardin,
trois caves. Les derniers arrivés dormaient dans les caves. L’air rentrait par
les soupiraux grillagés qui s’ouvraient au-dessus du trottoir et le matin le
roulement des charrettes sur les pavés, les pas des dockers se rendant au
travail, réveillaient Carlo. Il y avait trois lits par cave. Au rez-de-chaussée
la cuisine, la salle où on mangeait et quatre chambres. Dans l’une, Madame
Oberti et ses trois filles. Dans les autres, des pensionnaires. Carlo après une
semaine, avait quitté la cave pour l’une des chambres du rez-de-chaussée dont
la fenêtre donnait sur la cour.
    Le matin, quand il se levait pour aller se laver à la pompe,
Madame Oberti était déjà debout, énorme avec ses jupes noires qui la gonflaient
et dans lesquelles elle plongeait ses mains, pour en tirer des porte-monnaie,
des ciseaux, des peignes qu’elle plaçait dans son chignon de cheveux gris, des
pièces de monnaie, des lacets, des cigares. Quand Carlo rentrait le soir, tard,
venant du café de Turin, Madame Oberti était encore levée, assise à la grande
table de bois noir, un verre de vin devant elle, les bras croisés, les yeux
ouverts et fixes. Elle reconnaissait chaque pensionnaire à son pas. « Alors
Revelli ? Viens t’asseoir » disait-elle, sans bouger. Carlo prenait
place à sa table, à la droite de Madame Oberti. « Rina ! » Elle
avait la voix autoritaire faisant claquer les mots. « Apporte un verre et
la bouteille. » Rina était la plus jeune des filles, celle qui aidait
Madame Oberti. Les deux autres travaillaient à la manufacture de tabac,
privilège que Madame Oberti avait réussi à obtenir. Les cigarières étaient
assurées de garder leur emploi, « à la fin, elles ont la pension »
ajoutait Madame Oberti.
    Elle versait à Carlo un verre de vin, elle se servait un
demi-verre. « Lis-moi Revelli. » Elle avait aperçu dès le début, le
livre dans la musette de Carlo. « Tu sais lire toi ? » C’est à
cela qu’il avait dû de passer si vite de la cave à la chambre d’en haut. Rina,
en même temps que le verre et la bouteille avait déposé sur la table la lampe
et le livre. Carlo ouvrait au hasard, il commençait, retrouvant cette langue
qu’il n’employait plus et qui faisait monter en lui, sans qu’il puisse en
arrêter le flux, ces visages, le père, Vincente, le jour où il avait glissé
dans le Tonaro et aussi les arbres, la poussière de la carrière ; ce
camarade, la poitrine gonflée de bâtons de dynamite.
    « Lis, Revelli, lis » disait Madame Oberti quand
il s’interrompait :
     
    Per me si va
nella città dolente
    Per me si va
nell’eterne dolore
    Per me si va tra
la perduta gente
     
    Madame Oberti ne bougeait pas. Bras croisés, yeux fixes. La
poitrine simplement soulevée d’amples respirations. Et des larmes sur le
visage. « Tu lis bien, Revelli » disait-elle quand il fermait le
livre, lui aussi oppressé. Elle sortait de l’une de ses poches, un cigare, le
larcin de l’une de ses filles de la manufacture. « C’est pour toi »,
disait-elle.
    Carlo, s’il faisait doux, allait fumer seul dans le jardin.
Il en aimait les odeurs. Il écrasait entre ses doigts une feuille de menthe ou
de basilic, il la respirait. Le sommeil venait. Il éteignait le toscan. Il
rentrait. Madame Oberti était assise, à la même place, immobile.
    Un samedi d’automne, un paysan avait emmené dans la cour un
charreton lourdement chargé de cageots de raisin noir. Madame Oberti, les mains
dans les poches, passait entre les cageots. « Demain, on fait le vin »,
avait-elle dit. Elle avait une dizaine de pensionnaires. Ils s’étaient tous
retrouvés, le dimanche matin, pieds nus, les pantalons retroussés. « Lavez-vous
les pieds » criait Madame Oberti. Ils se rassemblaient en riant autour de
la pompe. Ses filles portaient au milieu de la cour les grands baquets dans
lesquels Madame Oberti

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