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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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graviers, Gimello avait demandé :
« Toi, c’est Revelli ? »
    Tant de pelletées, ce bras si souvent arraché, ces muscles
durcis par la fatigue et ces trois pièces qu’on tenait entre les doigts. « Tu
veux travailler avec moi ? Je te prends dans l’équipe. Paye chaque semaine. »
    Gimello faisait surtout des travaux de réfection, une
toiture à réparer, un mur à abattre, une aile de bâtiment à aménager. Il
répartissait ses ouvriers sur les différents chantiers, leur faisant confiance,
et le soir il passait se rendre compte, donner ses indications pour le
lendemain, gueuler un coup. Au début du mois de mai, il avait accompagné Carlo
chez les Karenberg. Une grande villa entourée d’un parc sur la colline de
Cimiez. « Regarde la grille, ça vaut… » C’était une grille haute, des
lances aux pointes dorées serrées l’une contre l’autre, qui clôturait la
propriété. « Une fortune » continuait Gimello. Le gardien les avait
conduits vers le bassin de marbre. « Madame la baronne Karenberg veut
installer une fontaine devant la maison, avec l’eau de la source. » « Le
fils, Monsieur le baron, il veut faire creuser pour fouiller, il veut y trouver… »
Le gardien faisait de grands gestes. « La Baronne », répétait-il.
Carlo avait envie de cracher. « Ne touchez pas aux fleurs et aux pelouses »,
continuait le gardien.
    « Ces larbins », disait Gimello, « sale race ».
Du pied, il avait tracé dans la terre, deux lignes. « Pas plus large,
Revelli, tu creuses un mètre cinquante, je te donne trois jours, des palmiers
jusqu’à la maison. »
    Carlo était arrivé vers sept heures. Il faisait frais. Il
était seul dans le parc. On apercevait derrière les arbres le creux du port,
entre le château et le mont Boron, la ville encore recouverte de brume. Dès dix
heures, il faisait chaud. Le soleil montait vite au-dessus des palmiers. Carlo
s’adossait à la terre de la tranchée. Il nouait son mouchoir aux quatre coins,
il l’enfonçait comme un béret et il recommençait, la sueur collant son tricot
de peau, qui à la fin de la journée était gris. À midi, au château, on tirait
un coup de canon pour annoncer le milieu de la journée. Détonation sèche, fumée
blanche qui s’effilochait au-dessus du port et que Carlo apercevait avant même
d’avoir entendu l’explosion. Il s’arrêtait, s’asseyait sous un arbre, et
somnolent, mangeait lentement. Il avait envie de se laisser aller, dormir un
peu, couché en boule comme il l’avait vu faire sur certains chantiers. Mais il
résistait. Son luxe, c’était un toscan, un court cigare, âcre, qu’il fumait en
quatre ou cinq fois, prenant seulement quelques bouffées, l’éteignant vite, le
replaçant dans une boîte plate de métal, qu’il fermait avec un caoutchouc. Le
tabac le réveillait, l’énervait. Mais c’est cela qu’il recherchait, ce coup de
griffe au creux de la gorge, ce plaisir qu’il fallait interrompre parce qu’un
toscan coûtait cher, le tiers d’une journée de travail, combien de pelletées de
terre ? Carlo regardait la grille du parc, le marbre du bassin, ces
arbres, le gardien dans sa maison à l’entrée, et les domestiques là-bas sur la
terrasse. Et lui aussi, le maçon, Carlo Revelli, en train de creuser. Eux, ils
possédaient tout ça.
    Souvent, il retrouvait Maria au café de Turin. Il n’habitait
plus chez elle. Il avait aussi fallu résister, et ça n’avait pas été facile,
quand les premiers mois il rentrait après avoir passé une journée place
Garibaldi, à attendre l’embauche qui ne se présentait pas. Maria l’attendait :
« Tiens, tu me les rendras, tiens, c’est pour moi, pourquoi tu veux pas me
faire plaisir ? » Elle lui tendait des pièces qu’il regardait. Des
morceaux de métal, brillant d’être passé entre les doigts, d’avoir été frotté
contre les peaux. Et elle donnait sa peau pour ça. Saloperie. C’est elle qui lui
avait fait connaître les toscans. Une vingtaine de cigares qu’elle avait posés
devant lui le jour où il lui avait annoncé qu’il s’installait ailleurs. Elle
faisait rouler les cigares sur la table, les effleurant à peine de la paume,
les doigts tendus, écartés : « Tu t’en vas, Carlo »,
disait-elle, « je le savais, tu sais ». Elle lui avait tendu un cigare :
« Fume-le, maintenant, ça me plaît que tu le fumes devant moi. » Elle
avait enlevé le verre de la lampe, baissé la flamme pour

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