Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
Vom Netzwerk:
profond que
l’envie. Il n’aimait pas que Luigi soit ainsi avide, dépendant, avec ces femmes,
Madame Merani, Thérèse et même Lisa qui l’entouraient de soins. Elles aimaient
son visage rond, sa peau laiteuse sous les cheveux noirs qui bouclaient. Quand
Luigi tendait son plat vers la louche, Vincente aurait aimé lui saisir le
poignet : « Arrête-toi, Luigi, c’est assez, garde ta faim, garde ce
creux. Ce vide c’est toi, ton orgueil, ta volonté. N’ouvre pas ta bouche trop
grande. Tu voudras toujours qu’elle soit pleine, tu ne sauras plus résister à
la faim. Arrête, tu vas devenir rond, plus blanc encore, tu vas ressembler aux
fils des bourgeois de Mondovi, mais tu es pauvre et si tu deviens lourd, si tu
n’as pas de muscles, que pourras-tu faire, frère ? »
    Mais Vincente se taisait. Comment être sûr de ce qu’on pense ?
Comment choisir ?
    Là, sur le bord du chemin, au sommet de la colline de
Gairaut, alors qu’il allait arriver à la maison de campagne des Merani, Vincente
regardait son frère. Luigi s’était assis dans l’herbe, le dos appuyé à la roue
de la voiture, il avait sorti ses osselets, il jouait, ses mains agiles,
virevoltant. Que lui dire ? Un jour, Vincente était parti avec son père
dans la forêt. Ils avaient marché toute la matinée, le père ramassant des
champignons, Vincente lui présentait ceux qu’il trouvait. Le père les
soupesait, crevait de l’ongle la chair fibreuse, disait simplement : « Mauvais,
mauvais. » Vincente avait renoncé, trouvant un jeune sapin d’une
cinquantaine de centimètres de haut. Il le déracina, creusant avec ses mains
autour du tronc à peine plus gros qu’un pouce. « Je veux le replanter »,
disait Vincente. Le père avait haussé les épaules. « Tu l’as tué, il est
trop jeune, il ne reprendra pas. » Vincente s’était obstiné, il avait
rassemblé de la terre, trouvé une caissette et tous les matins, il regardait le
sapin qu’il avait placé sur le rebord de la fenêtre. Il recouvrait la terre
d’eau. Il enfonçait près du tronc des morceaux de pain et de lard. Peut-être
les arbres mangeaient-ils ? Mais le sapin transplanté était mort en
quelques jours. Luigi était si jeune aussi.
    — Viens, dit Vincente, viens.
    Il caressait la tête de Luigi. Luigi rassembla ses osselets.
    — Je vais essayer, dit-il, tu vas voir.
    Il monta dans la voiture, s’installa sur les sièges, entre
les coussins que Madame Merani disposait sur la banquette, à cause de ses reins,
disait-elle.
    — Allons cocher, dit Luigi, enflant sa voix, allons,
vite et au pas, vous entendez, sinon, je vous mets dehors.
    — Descends, dit Vincente.
    Il tremblait de colère, il la laissait monter, reconnaissant
en lui la violence du père et celle de Carlo, la colère des Revelli.
    — Descends, répéta-t-il, les dents serrées.
    Luigi sauta par la portière opposée.
    — Qu’est-ce que j’ai fait ? criait-il.
    Il se mit à courir mais Vincente le rattrapa, lui donna une
violente claque sur la nuque, le secoua, et lui envoya de toute sa force un
coup de pied.
    — Salaud, dit Luigi, lâche.
    — Prends le cheval par la bride, avance.
    Vincente remonta sur le siège.
    Au bout du chemin, derrière les hauts cyprès centenaires, il
apercevait la façade ocre de la maison de campagne des Merani.
5
    C’est au début de l’année 1890, que Carlo avait rencontré Frédéric
Karenberg.
    Depuis le matin, ce jour de février, il creusait la terre
grasse de la colline de Cimiez. La pioche d’abord pour défoncer la croûte
séchée, pleine de cailloux, de racines gluantes et blanches comme des veines.
Puis la pelle. Carlo s’appuyait de tout son poids sur le bord du métal.
Quelques secondes de repos : il suffisait de peser avec le pied. L’acier
s’enfonçait droit dans la terre. Quand le soulier touchait le sol, il fallait
appuyer sur le manche, soulever et, d’un mouvement sec qui au bout de quelques
heures arrachait le bras, envoyer la terre par dessus l’épaule gauche. Peu à
peu la tranchée se dessinait. « Va droit, des palmiers jusqu’à la maison »,
avait dit Gimello. C’était un petit entrepreneur qui n’employait que cinq ou
six ouvriers, et parfois, quand il y avait un gros chantier, une douzaine. Il
avait embauché Carlo, à la mi-janvier, sur la place Garibaldi. Puis au bout
d’une semaine, le samedi soir, au moment de la paye, alors que Carlo regardait
cette poignée de francs comme une poignée de

Weitere Kostenlose Bücher