Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
Vom Netzwerk:
les yeux de Dante des
auréoles fauves se rassemblaient au centre de la pupille, comme aspirées, puis
s’élargissaient de nouveau, se contractant encore comme les signes d’une
impulsion. Dante, une nuit, avait ouvert une des chaudières à mazout que l’on
venait d’installer dans les sous-sols de l’Hôtel Impérial. Le brûleur
hoquetait, l’arc électrique qui allumait le mazout se produisait
irrégulièrement, à contretemps, provoquant des pointes de chaleur qui
rougissaient les plaques de fonte, ou, au contraire, la température tombait. « Le
thermostat », murmurait Dante. Il vissait, la porte de la chaudière
ouverte, rapprochant les électrodes de graphite, et tout à coup l’éclair, le
coude qu’il portait d’instinct devant ses yeux, où se formaient ces taches
fauves, ces sinuosités palpitantes, rousses. Le souffle de la détonation, la
chaleur du retour de flamme. « Merde. Merde. » Dante ouvrait les
yeux, et c’était la même couleur fauve. Il les fermait, les touchait du bout
des doigts. Posant les paumes sur les murs, il trouvait la sonnerie d’alarme. « Merde. »
Il se souvenait des lueurs rouges des feux d’artifice, l’éclat intermittent des
fusées et les cris de la foule rassemblée sur la Promenade des Anglais. Il
voyait aussi cette robe, trois volants de tissu blanc, Denise Raybaud qui
passait le pont sur le Paillon, un matin, quelques semaines auparavant.
    « Cécité temporaire. Pas de lésions durables. Peut-être
une sensibilité plus grande à la lumière violente. Même pas certain. Vous avez
eu de la chance. Quelques fractions de seconde de plus et… »
    Dante, un bandeau sur les yeux, allongé sur le lit à
l’écoute des bruits. La voix de Lucien. Dante l’appelle. « Qu’est-ce que
tu fais, maintenant ? » « Elle veut que je continue, que je
passe mon brevet. » Louise entre, elle chuchote. Dante se redresse, se met
sur les coudes. « Mais quel âge il a, Lucien ? » « Presque
treize. »
    Dante de nouveau seul. Ils ont fermé la porte de sa chambre,
ils mangent dans la cuisine. Ce rire, c’est Antoine, cette toux, c’est le père,
dont le pas, maintenant, traîne dans le couloir. Des mois qu’il ne les
entendait plus, ces voix, ces battements réguliers de la maison. Des années
qu’il croyait voir loin, juste, précis, et il fallait ce bandeau, ce noir cerné
de bistre et de jaune pour que Dante comprenne qu’il avait depuis longtemps
perdu la vue, l’ouïe. Seulement des bruits de foule, des mots scandés : Libérez
Raffin, libérez Raffin, ou bien : Sacco Vanzetti. Et mouraient
les deux Italiens d’Amérique. Et parlait Raffin arraché au bagne, élu député.
Raffin prenait Dante par les épaules. « Alors, Revelli, on monte sur la
passerelle, on le tient, le gouvernail ? » Dante et quelques
camarades accompagnaient Raffin, ils entraient dans un café. Raffin, vieilli,
le visage empourpré, les veines du cou saillantes, écoutait à peine Barnoin. Il
regardait une femme debout, appuyée au comptoir, il disait : « Camarades,
je veux pas vous fatiguer, moi, je reste un peu. »
    Cette scène revenait là, dans la mémoire close de Dante,
sous le bandeau noir. Immobile, somnolent, les mains posées à plat sur la
poitrine, Dante rapprend peu à peu à voir, à entendre. Il reconnaît le
roulement du premier tramway qui quitte les entrepôts du boulevard
Sainte-Agathe, ou, quand il s’éloigne, le bruit de l’eau dans la cour.
    — Je te l’ai dit, je me marie.
    Antoine s’est assis au pied du lit, et Dante imagine son
frère tourné vers lui.
    — T’écoute jamais rien. Tu te rappelles Sori ?
L’Italien, Rafaele, je t’ai dit, sa sœur.
    Giovanna, venue la dernière. Elle aussi enfuie de Turin.
Dans les deux petites pièces du boulevard de la Madeleine, elle avait veillé
Francesco à sa sortie de l’hôpital. Antoine disait à Rafaele : « Ta
sœur, si elle veut… » Ils se mariaient dans un mois.
    — Tu te maries, répétait Dante.
    Zinoviev, Trotski, et ces rumeurs de foule en fuite dans les
rues de Changhai, ou bien ces grandes lettres qu’il collait à l’aube sur les
murs, en face de la caserne des chasseurs alpins, avenue des Diables-Bleus : À bas la guerre du Maroc, ou bien : Poincaré misère. Dante
qui croyait s’être emparé du monde.
    — Eh oui, je me marie ! Tu viens, j’espère ?
    Antoine se lève, il fait quelques pas, il ouvre la porte.
    — Et toi, qu’est-ce que tu

Weitere Kostenlose Bücher