Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
Vom Netzwerk:
chemise serré par une épingle en or.
    — Vous portez toujours ça ? demandait-elle.
    Il marchait un demi-pas devant elle, légèrement sur le côté,
comme s’il voulait la voir de face, et parfois, parce qu’il parlait vite, avec
enthousiasme, il s’arrêtait et elle le heurtait. Ils restaient, quelques
secondes à peine, immobiles, l’un contre l’autre, Dante se mettant à rire.
    — Je parle, je parle, disait-il, je vous saoule.
    Vrai. Il l’avait saoulée de paroles, de discours. Il avait à
raconter, il était plus vieux, dix ans, ça compte, mais c’était surtout sa
façon de parler qui avait surpris Denise. Elle rencontrait son premier diseur
de fables.
    Les autres, le père – « Mon directeur, ces clients,
il les devine, il dit qu’en Angleterre… » La première vendeuse, la mère,
tous parlaient le silence. Des mots qui tombaient en poussière, de vieux
décors, la même récitation monocorde. « C’est une femme entretenue, elle
est avec un type. » Ou bien l’argent. « Ils ont de l’argent ? »
« Il n’a pas d’argent. » L’argent, Denise voulait sentir, toucher,
et, en même temps, le mot lui donnait envie de vomir, comme la première fois,
quand le sang avait coulé de son sexe. C’était poisseux, l’odeur était forte,
Denise devait se retenir pour ne pas porter sa culotte tachée au visage,
renifler. Elle avait eu un mouvement de répulsion. Chaque fois qu’elle les
entendait, le père, la mère, « l’argent », elle était fascinée,
dégoûtée. Ils échangeaient le mot comme si, bouche contre bouche, ils avaient
fait glisser d’une langue à l’autre de la bouillie.
    — L’argent, murmurait parfois Denise, l’argent, vous ne
parlez que de ça.
    Ils entendaient.
    — Tu verras, disait le père, si tu as des enfants, un
loyer, et si ton mari…
    — Laisse-la d’abord se marier.
    Ça, c’était la mère. Un autre de leurs mots. « Mariage. »
À eux, aux voisins de la rue Barla, un couple, les Beltrandi, tous les deux
employés au Comptoir d’escompte, place Masséna.
    — Alors, elle se marie, votre fille ? Eh, tu as
quel âge ? Vingt-quatre, vingt-cinq, non ? Tu ne vas pas fêter
Catherinette, une belle fille comme toi ?
    — Ah, elle est difficile, ma fille !
    — S’il a de l’argent, on s’aime toujours, ajoutait en
riant Madame Beltrandi.
    — Elle est difficile.
    Denise voulait leur échapper, mais seule, comment trouver la
force ? Elle sentait bien qu’ils l’avaient nouée, qu’elle n’oserait sourire,
le soir, à Boris, ou bien, comme Violette, marcher sur l’estrade, tourner
devant ces dames pour que la longue robe à traîne s’évase, queue de paon qui
fait la roue. D’où leur venait cette force, aux Revelli ? Cet enthousiasme
dont elle était privée et qu’elle retrouvait chez Dante ?
    — Je parle, je parle, répétait-il.
    Ils arrivaient au coin de la rue Barla et de la rue de la
République.
    — Déjà ? Je me suis pas rendu compte, s’exclamait
Denise.
    Il riait, Dante.
    — Je viens demain, un peu plus loin.
    Elle se reprenait, elle faisait non, elle ne lui tendait pas
la main, mais il l’attendait le jour suivant, près de la place Masséna. Quand
elle l’apercevait avec ce costume qu’elle trouvait voyant, tissu clair,
prince-de-Galles, elle avait envie de changer de trottoir ou bien de prendre
par le boulevard des Italiens, sur l’autre rive du Paillon, et puis… Et puis,
elle se trouvait à sa hauteur.
    — Alors, cette journée ? demandait-il.
    — Quoi, cette journée ? Toujours pareil, vous
savez…
    Elle était énervée, agressive, la chaleur dans le magasin,
les clientes, rester debout aussi, alors que la boutique était vide, mais,
n’est-ce pas ? une vendeuse, ça ne s’assoit pas, ça s’appuie au comptoir
quand mademoiselle la Première a le dos tourné, qu’elle parle à la caissière.
    — Pareil ? Mais non, vous avez l’air de vous
ennuyer. Pas possible. Tenez, je vous raconte.
    Mots frais, juteux, comme ces melons qu’on faisait tremper
dans l’eau pour qu’ils ne prennent pas la chaleur, et l’on mordait dans la
tranche, ouverte comme une bouche. Celle de Dante qui parlait une langue
différente et vive, jamais entendue. Il touchait d’un mot, un platane, l’eau
croupie du Paillon, ou bien ce soldat qui passait et ce charretier qui, debout,
enroulait autour de sa taille une large ceinture de flanelle grise. Une fable
naissait. Le galet devenait falaise

Weitere Kostenlose Bücher