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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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était assis sur la selle, boutonnant son gilet.
    — Un, on crève. Deux, les chefs et les autres. Trois,
conclusion, tire ton épingle du jeu. Un trou, tu l’as, une femme si ça t’amuse.
Un, deux, trois, sorti de ça, tu fais le con, Revelli.
    Dante marchait près de la bicyclette de Lebrun.
    — Parce que, pour toi, rien n’a changé depuis ?
Rien ?
    Lebrun secouait la tête.
    — Rien.
    — Vraiment, continuait Dante, avançant plus vite,
pendant que Lebrun commençait à pédaler, vraiment, depuis les cannibales, les
progrès…
    Lebrun s’arrêtait.
    — Quatre ans de tranchées, Revelli… Cannibales ?
Tu veux rire. Je t’ai dit, un, deux et trois, conclusion, y a des chefs
partout, et reste à l’écart, démerde-toi.
    Un bruit de lèvres, pour accentuer la dérision, avant de
lancer :
    — Mon lait, Revelli, tu oublies pas ?
    Dante rentrait à l’hôtel, imaginait Lebrun montant vers
Rimiez, l’une des plus hautes collines entourant Nice, couverte de serres pour
les œillets, d’oliviers, de cultures maraîchères. Lebrun avait acheté mille
mètres carrés de terrain, face à l’est. Il n’apercevait pas la mer, mais les
flancs caillouteux, le « poudingue » jaunâtre de l’arrière-pays
niçois, les villages ocre, Aspremont, Falicon ; au faîte des mamelons,
dominant les vallons, fouillis de ronces et de pins maritimes, les planches
d’oliviers. Lebrun, jour après jour, construisait sa maison. Il avait d’abord
dormi dans une cabane, faite de cannisses, puis économisant chaque franc, se
nourrissant de légumes « récupérés » dans les cuisines de l’hôtel, « empruntant »
outil et matériel, il avait monté les murs, la toiture, une salle de bains. « Mon
vieux, regarde », disait-il à Dante. Robinet, tuyauterie, baignoire, tout
provenait de l’Hôtel Impérial. La maison terminée, il s’était marié, noces à
Gairaut, sous les treilles, une grande fille blonde, Yvette, qui riait,
montrant des dents noirâtres, renversant la tête, et disant à Dante : « Il
paraît que je suis la fille d’un prince russe ruiné, à l’Assistance, qu’il m’a
mise, le Prince, et depuis… – elle fait un geste – je repasse. »
    — Marrante, non ? interrogeait Lebrun en
entraînant Dante à l’écart. Je veux plus qu’elle travaille, on se fait un
jardin, avec deux figuiers, les orangers et les oliviers, ce que je grappille à
l’hôtel, on s’en sort comme des rois. Je crains plus rien, tranquille. Ça vaut
la mine, non ?
    Et quand Dante avait été invité la première fois chez eux,
qu’ils avaient déjeuné dans le jardin, Lebrun s’était appuyé au tronc d’un
olivier :
    — Alors, Revelli, ma petite révolution, qu’est-ce que
t’en dis ?
    Yvette revenait avec le café.
    — On est chez nous, ici, disait-elle.
    Elle posait la cafetière, empoignait le tronc de l’olivier :
    — Moi, avant, j’ai jamais rien eu à moi, lui non plus.
    — Vous êtes des individualistes, avait commencé Dante.
    — On fait de mal à qui ?
    Yvette s’approchait de la table, y appuyait ses paumes :
    — On l’a pas volé.
    — Et même, disait Lebrun, tes Russes, qu’est-ce qu’ils
ont fait ? Ils l’ont volé, le pouvoir, non ? Moi, je me suis pris ça.
    Il montrait la maison, les arbres.
    — Et je l’ai pas pris aux copains, ma petite révolution…
Tiens, Revelli, j’en fume une.
    Dante tendait le paquet. Lebrun attirait Yvette, la forçait
à s’asseoir sur ses genoux, fumait.
    — Depuis que je suis ici, chez moi, je respire mieux.
C’est drôle, cet air qu’on peut pas me prendre, les fruits…
    Il embrassait Yvette, se levait, allait au milieu des plants
de tomates, tâtait un fruit, l’arrachait soigneusement, le sentait, le montrait
à Dante.
    — Sens. C’est pas la même odeur que ceux que tu
achètes, ils sont frais, ici. Comme je les vends pas, que c’est pour nous, pour
nous seulement, ça doit se sentir, ils poussent en liberté, un parfum à part.
    Lebrun riait.
    — Qu’est-ce que tu attends, Revelli, pour la faire, ta
révolution ? La tienne, personne la fera pour toi. T’attends quoi ?
D’avoir crevé ?
    Est-ce qu’on pense à ça ? Quand on roule, est-ce qu’on
s’imagine qu’une pointe, un morceau de verre dans le pneu, et ça crève ?
    Dante avait remonté la rue Cassini, traversé la place
Garibaldi en poussant son vélo, puis, au coin de la rue Barla, il avait aperçu
Denise Raybaud qui sortait de

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