Nice
la clef :
— Laisse, laisse, murmurait-il, en tournant la clef.
Violette s’asseyait, et de savoir que c’était fait, qu’elle
lui avait dit, qu’elle serait seule, ce soir, elle se sentait joyeuse,
détendue. Elle l’embrassait sur la joue, presque au coin des lèvres, comme il
se penchait :
— Tu me téléphones ? demandait-il.
De nouveau elle lui était hostile :
— Je ne sais pas, disait-elle d’un ton brusque. Après
cette journée, j’ai besoin…
Il ne comprenait pas. Elle croyait chaque fois qu’il
n’avancerait plus la main, qu’il attendrait qu’elle fasse le premier geste.
L’orgueil, cela compte, non ?
— Tu ne sais pas ce que c’est, disait Katia. Moi, tu te
souviens quand Jacques m’a quittée ?
En rentrant des studios, Violette s’arrêtait parfois devant
l’Hôtel Impérial. Katia, depuis son mariage avec Gustav Hollenstein, s’y était
installée, renouvelant le mobilier de l’appartement, faisant abattre une
cloison pour créer une pièce comme on en voyait dans les magazines américains,
vaste, avec des baies vitrées.
— Tu te souviens ? interrogeait Katia.
Une histoire avec un acteur.
— Maintenant – Katia riait – ce sont des
souvenirs. Tiens, j’ai trouvé des lettres de la première femme de Gustav, une
Russe, elle aussi, une Karenberg. Elle s’est suicidée – elle soupirait un
peu – il était fou d’elle, ça se sent. Moi et lui, c’est une bonne
entente, comme ça, ça dure.
Katia avait retrouvé à l’Hôtel Impérial le monde des grandes
réceptions, celui de son adolescence à Petersburg. La révolution, l’exil des
Lobanovski, les présentations de mode, un intermède. Elle rentrait dans l’ordre
avec quelques souvenirs.
Quel est mon ordre ?
La question de Violette. Parfois, elle était prise d’une
colère brève, quand elle quittait Katia, qu’elle longeait l’Hôtel Impérial pour
entrer dans la cour, frapper à la porte de Dante, le voir jouant avec son fils.
Elle s’asseyait un instant. « Antoine, tu as appris, disait Dante,
Antoine, ils l’ont arrêté, avec son copain, l’italien, celui, il y a deux ans,
au baptême, Sori. Ils les ont gardés une semaine. Ce qu’ils avaient fait ?
Ils se croient malins, s’ils imaginent que la classe ouvrière… »
Quel ordre pour elle ?
Ni celui que lui proposait Philippe ni celui de Dante ou d’Antoine.
Personne pour lui dire voici ton chemin. Alors, elle vivait d’intuitions,
d’orgueil. Refuser, pour elle, c’était manière d’accepter autre chose qui ne
viendrait peut-être jamais. Refuser d’être Madame Philippe Roux, et Philippe
l’avait proposé de nouveau parce qu’il sentait la fin.
— Voyons, Philippe, disait Violette, voyons.
— Alors, entre nous ?
Elle aussi évita le mot, peur de dire un jour comme Katia le
disait d’épisodes de sa vie : « Tu te souviens, cette histoire que
j’ai eue avec Philippe, le cameraman, le type qui avait le side-car… »
Elle ne rompait pas nettement avec Philippe, mais elle
laissait entre leurs rencontres le temps s’étirer chaque fois davantage.
Elle refusait de sortir avec Rex. Depuis que Katia l’avait
quitté, Rex allait de fille en fille, une girl de la Cage à poule, à
Juan, une chanteuse américaine, et puis des gamines près desquelles il roulait
lentement sur la Promenade des Anglais. Elles le reconnaissaient, cheveux
blonds, chemises à col ouvert, cette ressemblance avec Douglas Fairbanks. Il
ouvrait la portière. Elles montaient. Il les gardait deux ou trois jours dans
sa propriété du cap d’Antibes, il dînait avec elles au Grand Hôtel des Iles, il
buvait, déclenchant des bagarres, les jouant au poker avec des Américains de
passage. Quand il retournait au studio, il prenait le poignet de Violette, le
serrait :
— Je ne suis pas heureux, Violette, et toi, si tu
voulais, tu pourrais…
Elle se dégageait avec peine. Il la regardait avec mépris.
— Tu es une imbécile, crève.
Dépendre de types comme ça. Un jour, ça exploserait. Il la
jetterait dehors, il refuserait de l’employer, peut-être simplement parce
qu’elle serait trop vieille. Trente ans, bonne à jeter si l’on n’a que ses
jambes à montrer. Il fallait faire vite, avant l’explosion. Elle lisait, elle
apprenait l’anglais, seule, d’abord, puis avec la propriétaire, une vieille
dame qui habitait la villa, au-dessus de chez Violette. Une Ecossaise, presque
aveugle, qui portait encore autour
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