Nice
Antoine par le bras :
— Tu m’annonces encore la mort ? Tu ne viens que
pour ça.
— Je voudrais savoir, dit Antoine, vous, je suis sûr
que vous pouvez, et moi, ça me rendrait service.
— Viens par là.
Antoine le suivait, descendait quelques marches, entrait
dans une cave. Des fauteuils, des cartes sur une table, une porte au fond.
— D’ici, tu vois…
Luigi montrait la porte, riait, s’asseyait, serrait sa main
gauche sur sa main de bois :
— Si on a besoin d’air, continuait-il.
Il jetait un paquet de cigarettes à Antoine :
— Ton père, quel âge ça lui fait ? Attends, moi
cinquante-cinq, hé soixante-cinq Vincente, et le vieux salaud, le grand frère,
soixante-treize donc. Ils ont la peau dure.
Il prenait les cartes, les faisait glisser entre les doigts
de la main gauche, les étalait, en retournait une :
— As de pique. Merde !
Luigi recommençait, sortait du trèfle, du pique encore,
s’énervait, pique toujours, s’arrêtait tout à coup, remettant les cartes en tas :
— Qu’est-ce que tu veux ? Pas d’argent ? Tu
m’inquiètes. L’argent, c’est facile. Tu trouves pas je parie ? Ça, c’est
ton père et ton con de frère.
Un silence.
— Y a Violette, continuait Luigi. Celle-là, on m’en
parle. Carlo, moi, elle. Les vrais Revelli, non ?
Le premier geste après qu’Antoine eut expliqué pour
Francesco Sori, pour Pietro le Calabrais, ce fut un coup de la main de bois sur
la table. Les cartes se répandaient. Puis deux mots :
— Pauvre con.
Luigi se levait, gueulait en marchant autour de la table :
— Mais qu’est-ce que vous croyez ? Qu’ils vous
connaissent pas, toi et tes deux cons ? Tu veux savoir les types qui l’ont
tabassé, ton Sori, tu veux vraiment les connaître ?
Il crachait par terre :
— Mais qu’est-ce que tu as appris ? Et vous êtes,
ton frère et toi, allés à l’école ? Et vous savez pas qu’un type est
toujours un mouchard, vous le savez pas, qu’on les tient tous ?
Il tendait vers Antoine cette main droite, morte, fausse :
— Toi, on te tient quand on veut. T’as faim ? T’as
envie de le voir ton gosse ? Avec ça, pauvre con, tu fais les pieds au
mur. Tous, pas un. Alors, ton Calabrais ? Sûrement un mouchard. Ils en ont
partout. Ils savent tout.
Il se laissait tomber dans un fauteuil, il lançait sa main
gauche devant le visage d’Antoine :
— Ils paient, tu comprends ? Ils paient.
Il se levait, haussait le ton, de nouveau :
— Quand tu paies, tu as n’importe qui – Luigi
détachait les syllabes. Ils ont l’argent du gouvernement, d’en haut. Tu vois ce
que ça représente ? Moi – il se frappait la poitrine avec
l’avant-bras droit – moi, je paie. Tu peux pas savoir combien de types je
paie. Alors, eux, s’ils veulent, ils m’achètent, quand ils veulent, ils n’ont
qu’à mettre le prix.
Ils t’ont acheté, salaud.
Et cela se lisait dans les yeux d’Antoine qui commençait à
repousser son fauteuil.
Luigi Revelli baissait le ton, reprenait :
— Reste là. T’es venu, t’as voulu savoir ? Moi, la
politique, je m’en fous. Je suis un commerçant, c’est tout.
Ils t’ont acheté, salaud. Antoine ne bougeait plus, mais il
laissait la phrase dans sa tête pour que Luigi l’entende, pour qu’il se
disculpe en accusant les autres.
— Mais je vais te dire. Darnand, tu connais pas ?
Un petit camionneur, un héros, mets-toi son nom dans la tête, et le fils
Merani, Charles, l’avocat.
Il serrait sa main de bois avec sa main gauche.
— La main dans la main avec les autres, ceux d’Italie.
Tu comprends ? Sans compter tous les autres, ceux qui savent et qui la bouclent,
parce que vous les emmerdez. Alors, ton Sori, il avait eu de la chance une
fois, et il a cru…
Luigi se levait, ouvrait la porte :
— Pauvre con.
Au moment où Antoine s’engageait dans l’escalier, Luigi le
coinçait contre le mur, la main dure dans l’estomac :
— Toi, je te donne un conseil : t’es ouvrier,
alors, travaille. Mets-toi à ton compte. Je peux te prêter, tu me rembourseras,
je te fais confiance.
Il baissait le bras, poussait Antoine pour qu’il passe le
premier.
— On est des Revelli, non ?
Il s’asseyait de nouveau au comptoir, reprenait les dés, les
secouait dans sa main :
— Tu vois, je sais rien, disait-il.
Il clignait de l’œil.
— Tu veux boire ?
Antoine refusait, sortait.
Bientôt, il roulait avec Rafaele dans la
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