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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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par le bras, occupent toute la largeur du boulevard Victor-Hugo. À bas
les voleurs, la France aux Français. Ils courent, bousculent un cordon de
policiers, lançant des pierres contre les vitrines du fourreur Nathan.
    — Vous voyez une différence d’avec les nazis ?
continuait Lasky.
    Il s’étirait, semblait découvrir Violette :
    — Et vous, demandait-il, vous êtes quoi ?
    Il plissait le front, posait ses paumes ouvertes sur ses
cuisses. Il avançait les lèvres. Laid, vraiment. Vieux ? Sans âge, comme
taillé dans un bois sur lequel le temps ne mord plus.
    — Française, dit Violette.
    Et elle fut prise d’un fou rire qui, peu à peu, gagna tous
les autres.
25
    Carlo Revelli avait posé ses mains à plat sur la table, et
pendant que les autres, Mafalda, Charles Merani, Anna, le vieux Joseph Merani
et sa femme Elisabeth d’Aspremont, parlaient – c’était un bruit lointain
que Carlo ne cherchait pas à saisir – il regardait ses mains.
    Il avait envie de les retourner, pour voir la peau de la
paume, cette corne comme une écorce où se serait gravé chaque coup de pioche ou
de pelle, et même le premier coup de hache quand le père lui avait dit : « Elle
est plus lourde que toi, essaie. » Carlo avait pris l’outil au manche
lisse plus haut que lui. Mais Carlo se contentait de soulever un peu les
doigts, les paumes collées à la table, comme s’il avait peur, les retournant,
de s’apercevoir qu’elles étaient vides. Il bougeait un peu le pouce, l’index,
et là, à la base des doigts, ces marbrures bistre, pétales fleuris, séchés,
apparues il ne savait plus quand. Un jour, il les avait vues, irrégulières,
marques vénéneuses. Autrefois, quand il était encore bûcheron de la forêt
piémontaise, qu’en deux coups de hache, en biais, il creusait dans l’arbre une
coupure mortelle, il avait remarqué parfois, au pied des chênes, ces
champignons tachés de brun, malades, empoisonnés.
    Qui, en ce temps-là, pouvait s’imaginer qu’un jour, ses
mains à lui, comme des plantes pourrissant lentement…
    — Tu ne manges plus ? demanda Mafalda à son père.
    Elle était assise à la droite de Carlo Revelli, et son
regard allait de son père à son mari qui, près d’elle, paraissait dévorer avec
avidité, boire sans retenue. Elle avait envie de lui saisir le bras, mais
devant son père elle n’osait pas. Charles aurait dû s’arrêter. Cette façon
qu’avait Carlo Revelli de ne plus manger était manière d’exprimer son mépris.
Elle en voulait à Charles de son insouciance, de sa désinvolture, même, comme
si Carlo Revelli avait été n’importe qui, alors que c’était son père à elle, et
qu’il suffisait de les voir côte à côte, Charles sans cou, le visage engoncé,
lourd, avec cette courte moustache, les cheveux noirs collés, la raie blanche
sur le côté, Carlo, maigre, plus grand de toute sa tête, les cheveux blancs qui
ondulaient, et Mafalda, chaque fois qu’elle faisait cette comparaison, en
voulait à Charles, à son père. Elle avait envie de disparaître, elle avait
honte.
    — À nos âges, dit Joseph Merani, on picore.
    Lui aussi, comme son fils, était lourd, le gilet accusant
son embonpoint. De temps en temps il se taisait et il aspirait bruyamment par
la bouche comme si l’air lui manquait.
    — Il faut laisser la place à ceux qui ont de l’appétit,
n’est-ce pas ? ajouta-t-il.
    Il regardait son fils, interrogeait Carlo qui ne bougeait
pas.
    — Carlo, dit Anna, Carlo ?
    Elle avait parlé plus fort. Carlo leva la tête vers sa
femme. Il vit la main potelée, maladroite, qui s’efforçait de saisir le collier
d’Anna, doigts courts, peau si rose creusée de fossettes, Robert, le
petit-fils, que sa grand-mère avait pris sur ses genoux.
    — J’entends mal, dit Carlo.
    Manière de ne pas répondre, habitude qu’il prenait de se
donner le temps de réfléchir, de les forcer à répéter, de lui donner cette
preuve nouvelle du pouvoir qu’il avait sur eux, cette surdité qu’il s’attribuait,
fausse faiblesse pour masquer la force. Mais, parfois, un instant,
l’inquiétude. Peut-être était-il vraiment devenu sourd ?
    — Ça, dit Merani, j’entends encore très bien. Vous êtes
plus jeune que moi, mon cher Revelli. Voilà…
    Il aspirait, soulevant le menton, les paupières à demi baissées,
noyé qui se débat.
    — Voilà, reprit-il, pas mal d’années que… Vous vous
souvenez ? La première fois, c’était chez

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