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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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moi, dans la cour, rue
Saint-François-de-Paule… Qui aurait dit ?
    Il montrait la ville au pied de Gairaut, les planches de la
propriété Revelli, les orangers et les mandariniers, leurs troncs serrés par
des bottes de paille pour les protéger du froid. Il y avait eu, en janvier, un
coup de gel, mais, depuis un mois, le temps s’était adouci. Il avait fait très
beau pour Mardi gras, et de Gairaut, dans la nuit sans nuages, on avait aperçu
les illuminations du Carnaval, la longue traînée rouge de l’avenue de la
Victoire, la boule incandescente de la place Masséna, et parfois, l’imagination
peut-être, ou le vent, on avait pu entendre ces airs criards hurlés par les
haut-parleurs accrochés à chaque platane de l’avenue.
    Ce dimanche de la fin de février 36, le soleil était si
chaud qu’Anna avait décidé de faire dresser la table dans le jardin, contre la
façade qui renvoyait le soleil et protégeait du vent. Depuis le mariage de
Mafalda et de Charles Merani, ce repas au Grand Hôtel des Iles, une sorte de
coup de folie qu’avait eu Carlo, et Anna ne comprenait pas, lui qui était si
renfermé, secret, refusant les invitations, voici que tout à coup il avait
voulu l’éclat, la grand robe à traîne pour Mafalda, le mariage à la cathédrale
et le long cortège de voitures vers le cap d’Antibes. Le soir, quand ils
s’étaient retrouvés seuls à Gairaut, Carlo s’était assis dans la cuisine, le
visage caché dans ses mains, la veste du smoking tombée par terre, les manches
de la chemise empesée relevées. Il était resté ainsi longtemps. Au milieu de la
nuit, Anna avait entendu des bruits, elle était descendue, Carlo sciait du
bois, un cigare éteint serré entre ses dents. Depuis ce mariage, ils n’avaient
revu les beaux-parents de Mafalda qu’à deux reprises, pour la naissance de
Robert et son baptême. Il y avait une semaine, Mafalda avait téléphoné à sa mère :
« Tu devrais les inviter, disait-elle. C’est Charles, son père, peut-être
qu’ils veulent parler à papa. » « S’ils veulent, avait dit Carlo, si
ça les amuse. »
    — Qui aurait dit, répétait Joseph Merani.
    Il appuyait sa nuque contre la façade, paraissait vouloir,
les paumes sur le gilet, se masser la poitrine, aider le mouvement des poumons :
    — J’ai quatre-vingt-deux, disait-il, quatre-vingt-deux,
Madame Revelli, pas si mal ?
    — Il n’est pas loin, Carlo, disait Anna.
    Elle frottait son nez contre le visage de Robert. Le bébé
secouait la tête, avait un cri clair, comme l’esquisse d’un rire. Anna
regardait Carlo :
    — Soixante-seize, n’est-ce pas ? demandait-elle.
    — Pas si mal non plus, disait Merani. Mais…
    Il désignait Charles, Mafalda :
    — C’est eux, maintenant. Moi…
    Elisabeth d’Aspremont se levait, disait qu’elle voulait
faire quelques pas. « Si nous laissions ces messieurs ? »
    Mafalda, Anna la rejoignaient, et elles descendaient toutes
les trois l’allée entre les terrasses, Carlo entendant distinctement la voix de
Robert, et sans que son visage bouge, Carlo criait. « Je suis pas si sourd
que ça, tu peux toujours venir. » Il prenait un cigare, en offrait un à
Joseph Merani qui refusait :
    — Vous ne pouvez plus fumer ? demandait Carlo.
    Merani se touchait la poitrine :
    — Je préfère, je préfère pour ma respiration, c’est…
    Charles en acceptait un, déplaçait sa chaise, essuyant les
gouttes de sueur qui commençaient à perler sur son front.
    — Vous savez, commençait Joseph Merani, tout le monde
sait. Donc, j’ai décidé de ne pas me représenter en avril. J’aurais été réélu,
bien sûr, mais, à quatre-vingt-deux ans, la campagne électorale est dure,
surtout en ce moment.
    Quelque chose changeait que Carlo percevait, sur les
chantiers, dans ses entrepôts, sur le port. Une façon qu’avaient les ouvriers
de se rassembler à la pause au lieu de rester par deux ou trois à manger en
silence. Ils parlaient fort comme s’ils ressentaient moins la fatigue de la
matinée de travail. Leur visage, que la poussière de la pierre, habituellement,
semblait figer, s’animait. Au lieu de dormir dix minutes avant le coup de
sifflet, ils restaient debout. Les chauffeurs de l’entrepôt ne sortaient plus
s’appuyer à la façade pour regarder passer les ouvrières de la fabrique de
pâtes, ils discutaient, et, quand Carlo s’approchait, ils s’interrompaient mais
demeuraient ensemble, si bien qu’il

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