Nice
messieurs ! La boule s’arrête là où il faut.
Il n’y avait que Carlo qui avait placé sa fille près d’eux.
Elle entrouvrait la porte, regardait si tout allait bien. Charles Merani, d’un
geste, faisait signe à Mafalda d’avoir à s’éloigner. Même Carlo. Sa fille, une
bonniche à laquelle on avait vendu, parce qu’il avait sûrement dû payer cher
pour ça, le frère, le nom du patron, Merani. Mme Mafalda Merani.
Ritzen prenait la parole, interpellait Doriot.
— Il y a la question de l’Allemagne. Est-ce que vous ne
négligez pas le péril germanique ? Vous voulez un rapprochement avec le
Reich ? Moi, je crains l’armée allemande, mon fils aîné est officier, il
connaît bien la question du réarmement allemand.
Le commissaire Lorillot prenait des notes, offrait une
cigarette à Luigi.
— Bon, disait-il, tu te souviens. Mais les discussions
entre ces messieurs, c’est passionnant, seulement on peut lire ça dans les journaux.
Ce qui nous intéresse…
Faites vos jeux. Un seul chiffre. Lequel choisir ?
Darnand, Merani, le Dottore Maurizio Livio, le fils Ritzen ? Lorillot ?
Où la boule va-t-elle s’arrêter ?
— Tu n’as jamais vu débarquer des caisses, continue
Lorillot, au cap d’Antibes, dans la propriété du Dr Ritzen ?
L’ancienne propriété Sartoux. Quand le grand-père Sartoux
était mort, les fils Ritzen en avait hérité. Une fortune, ces mètres carrés de
pinèdes, ces plages de sable, les rochers dentelés et le petit port. Le bateau
arrivait peu après minuit. Il chargeait à Imperia ou à San Remo, mettait cap au
large, puis droit sur la pointe d’Antibes, évitant les canots de la douane,
avançant tous feux éteints. La camionnette de Darnand entrait dans l’allée
bordée de palmiers nains et de cactus de la propriété Ritzen. En marche
arrière, Darnand reculait jusqu’au quai. Les caisses qu’on se passait, une
dizaine chaque fois, de belles caisses en planches bien rabotées, lourdes pour
leur volume.
— Des caisses ?
Luigi grimace.
— Jamais vu.
Mais contre eux est-ce qu’on peut tenir longtemps ? Ils
feuillettent le dossier. Ils disent : « Tu te souviens ? »
Ils donnent un tour au garrot. « D’ailleurs, avec ce que tu nous as dit
déjà. » Il faut lancer une nouvelle plaque. Rien ne va plus. La douleur à
la base de la nuque, la colère qui saisit Luigi. Qu’ils se démerdent tous, ces
cons, avec leurs combines, leurs caisses de grenades et de revolvers Beretta
expédiées par les fascistes italiens. Je vends la boîte de San Remo. Je me
replie ici. Je change de ville, de gueule, de nom.
— Et cette réunion ? demande Renaudin.
Il s’approche de Luigi, fait trembler une feuille de papier
devant lui.
— Il n’y a pas que le trafic d’armes. Il y a le petit
carnaval. Tu y étais, non ? On m’a dit que tu y étais ? Raconte-nous.
Rue Droite, pas loin du Castèu, dans la vieille
ville, Luigi leur avait trouvé une cave. Des flambeaux, une table couverte d’un
drapeau tricolore. Sur un drap noir accroché au mur, une croix blanche que
menacent deux serpents. « J’aimerais que vous soyez des nôtres, dit
Charles Merani à Luigi. De toute façon, vous en savez beaucoup. »
— Moi ? dit Luigi. J’oublie, j’ai pas de mémoire.
Ils sont une trentaine, le visage dissimulé par une cagoule. Je jure fidélité, je jure de garder le secret. L’un d’eux se
lève. « Qu’est-ce qu’on attend, dit-il, que la France soit morte ? Le
gouvernement Blum, c’est le cabinet crétin-Talmud. » Parlotes. Voix
connues. Le fils Ritzen, Merani, peut-être Darnand.
— Alors, les messieurs en cagoule, les Chevaliers du
Glaive, tu nous racontes ? interroge Renaudin.
Luigi se met à rire.
— Ça vous intéresse ? Ils font les singes, ces
messieurs. Ils se mettent en cagoule, ça les amuse. Les vicieux dans les
bordels, c’est pareil.
Jouer. Il leur donne les noms. Darnand, vous savez, c’est un
héros, avec sa petite moustache comme le Führer, son béret, sa gueule de légionnaire.
Charles Merani, il a épousé la fille de Carlo Revelli, sa nièce, vous
connaissez ? Et Jules Ritzen, le chirurgien des milliardaires d’Antibes.
Ils ont leur joujou, la politique. Ils se déguisent.
— Moi, je suis hors du coup, ça m’intéresse pas, continue
Luigi. Je trouve la cave, les types dont ils ont besoin, c’est tout. Vous aussi
vous avez besoin de moi. Eux, c’est pareil, et vous savez…
Luigi
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