Nice
qui
devraient comprendre refusent de voir.
Il s’interrompait, regardant Alexandre qui hésitait à
parler. Le mari de Nathalie avait encore sur la peau des cloques ; l’odeur
de l’uniforme, du mess.
— Se battre ? dit-il. Imaginons que vous ayez
raison, Sam. Se battre avec qui ? Les soldats ? C’étaient des paysans
de Barcelonnette, d’Isola, des horticulteurs de Saint-Laurent-du-Var, pas un
n’était prêt à se battre.
La hargne, l’amertume. « Qu’ils nous foutent la paix,
merde ! On l’a eue la guerre, non ? Ce devait être la dernière. »
Dans les galeries du fort de l’Authion, cette phrase entendue, un soldat qui
apercevait Alexandre, saluait nonchalamment : « Vous êtes réserviste
comme nous, mon lieutenant. Qu’est-ce qu’on perd notre temps ici ? Hein,
franchement ? »
— Ça leur retombera sur la gueule, dit Sam, parce qu’il
vient un moment où il faut savoir.
Il s’était levé, le visage crispé, les poings serrés,
paraissant plus trapu encore qu’il ne l’était.
— Un pays, reprit-il, pour moi, c’est un homme. Il faut
savoir si l’on veut rester debout ou s’allonger, c’est tout.
— Et les officiers, dit Alexandre, même chose ou pire.
Le lieutenant Charles Merani – « mon beau-frère » –
officier de liaison, affecté à l’état-major, qui déjeunait au mess, répétait :
« Qui sont les véritables ennemis de la France ? Qui nous pousse à
cette guerre absurde ? Je vais vous le dire. Depuis Blum… » Le colonel
imposait le silence à Merani, mais, dès qu’il avait quitté le mess, la plupart
des officiers entouraient Merani : « Les youpins… »
— À vomir, disait Alexandre.
Au début du mois de novembre, peu de temps après sa démobilisation,
le coup de téléphone de Gustav Hollenstein : « Alexandre, je n’ose
pas… Voulez-vous prévenir Sam, quelques-unes de ses toiles, je ne pense pas que
ce soit irrémédiable, mais il vaut mieux l’avertir. »
Dans la nuit, on avait pénétré dans un des salons de l’Hôtel
Impérial où venait d’être inaugurée l’exposition des œuvres de Sam Lasky,
peintures et sculptures. On avait crevé des toiles, renversé les sculptures,
écrit en lettres blanches : Juifs pourriture de l’esprit. Sam avait
à peine regardé ses tableaux :
— Mon cher Alexandre, avait-il dit, ma vie, c’est ça.
Il montrait les toiles, les architectures de métal.
— Mais je serai très heureux le jour où on aura ces
ordures en face. Parce qu’il y a une vermine dont il faut débarrasser l’espèce.
Sam parlait la mâchoire inférieure en avant, sa laideur
effacée par sa détermination. Puis il avait souri.
— Je suis naïf, cette vermine ne fait jamais face. Elle
vous gratte toujours dans le dos. L’épouillage n’est jamais terminé.
Il redressait une sculpture, embrassait Violette, riait :
— J’ai l’impression que tu vois des enfants morts. Ce
ne sont pas des enfants. C’est de la toile, du bronze, seulement ça.
Gustav Hollenstein allait et venait dans le salon,
s’arrêtant devant l’inscription, fumant cigarette sur cigarette.
— Quels sauvages ! disait-il.
Le commissaire Renaudin entrait dans le salon avec un inspecteur.
— Vous n’êtes pas antisémite, commissaire, demandait
Sam en riant, ce serait amusant ?
Renaudin se figeait :
— Vous êtes qui, Monsieur ?
— Le juif, le naturalisé, celui qui pourrit l’esprit
français.
Il faisait une grimace, plissant le visage, relevant les
lèvres :
— L’artiste, disait-il en entraînant Violette.
Silence dans l’atelier d’Alexandre.
— De toute façon, dit enfin Sam, il y aura la guerre.
Nathalie a pris Yves dans ses bras, elle l’embrasse, elle
sort de la pièce.
— Tu ne devrais pas jouer avec ces mots, dit Violette.
Sam inspire lentement, passe sa main sur son visage comme
s’il voulait effacer l’expression de colère qui est née aux premiers mots de
Violette.
— Il faut, dit-il calmement. Il faut, sinon nous serons
tous surpris. Becker m’a raconté. L’Allemagne… – Il s’interrompt. C’est un
homme très pondéré, Becker, un calme. Il n’exagère pas, mais ce qu’il a dit est
vrai.
La voix de Sam s’enfle :
— Ce qu’il a vu, parce qu’il faut l’avoir vu, ces
femmes auxquelles on a mis un écriteau autour du cou, Jude, Kommunist, et les
enfants, les gosses de treize ans, Revelli, qui dénoncent.
Il change de ton tout à
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