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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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êtes des conformistes. Je
croyais pourtant, vous, avec ce qu’elle m’a raconté, et vous lui donnez raison
quand même ?
    Sam Lasky s’appuyait à la table, se penchait vers mon père.
    — Je ne tiens pas à l’ennuyer comme un vieux dingue,
continuait-il. Je l’aime bien, c’est pour elle, qu’elle attende au moins chez
moi la fin de la guerre, et si Rafaele revient… Vous l’avez vu ?
    Mon père tournait la tête vers ma mère, puis fouillait dans
ses poches, mais Sam posait sur la table un paquet de cigarettes, un briquet.
    — Vous l’avez vu ? demandait-il à nouveau.
    — Vous savez bien qu’il l’a vu.
    C’était ma mère, vive, avec une sorte de jubilation dans la
voix, comme quand elle était assise à côté des Baudis sur la Promenade des
Anglais, qu’elle racontait, et je me rapprochais pour l’écouter :
    — Nathalie, disait-elle à Madame Baudis, la fille de
Hollenstein, je vous ai dit qu’elle s’est mariée avec un cousin de mon mari,
Alexandre, l’architecte, le fils de Carlo Revelli, l’entrepreneur. Vous savez
que Hollenstein a épousé cette Russe, Katia, elle a, je ne sais pas, vingt-cinq
ans de moins que lui. Je l’ai bien connue, Katia, elle était mannequin à Haute
Couture, eh bien, Nathalie et Katia, il suffit de les regarder, elles ne
peuvent pas se sentir, si elles pouvaient se tuer.
    J’en voulais à ma mère de ces récits. Elle décrivait une
guerre sournoise et impitoyable, sordide aussi. Les amis, les parents devenaient
des rivaux comparant leurs biens. Ils usaient des regards comme d’armes
acérées. « Tu as vu Violette… », commençait ma mère. Mais ce pouvait
être aussi : « Tu as vu Nathalie Hollenstein » ou bien « Tu
as vu cette femme ? Quel carnaval ! ». Vêtements, coiffures, et
parfois seulement une paire de gants, il suffisait d’un objet pour que le conflit
soit engagé et perdu.
    J’étais assis près d’elle sur la Promenade, nous attendions
les Baudis. Les passants défilaient devant nous, entre les rangées de
fauteuils.
    — Regarde celle-là, et celui-là.
    Les Baudis s’installaient près de nous.
    — Vous avez vu ?
    Quand j’allais chez mes grands-parents Raybaud, que ma mère
redevenait entre eux leur petite fille silencieuse, je reconnaissais les phrases :
« Tu a vu les… il a une très belle situation, leur fils a épousé… »
    Mon père ne nous accompagnait jamais chez les Raybaud.
    — Et ton mari ? interrogeait ma grand-mère.
    Ma mère s’apprêtait à partir, elle ne répondait pas mais
dans la rue me disait :
    — Ton père, il me fait honte, devant mes parents.
     
    — On l’a vu Rafaele Sori, disait-elle, bien sûr on l’a
vu, pourquoi le cacher à Monsieur Lasky ?
    Mon père quittait la salle à manger, passait devant ma
chambre sans lever la tête, sortait dans la cour. Je voulais fermer ma porte,
ne pas entendre, ne pas trahir, mais j’étais entraîné par le mouvement de la
voix.
    — C’était la semaine dernière, disait ma mère,
attendez, cinq, six jours après qu’on vous a rencontré à Saint-Paul, quand on a
compris pour Violette. Un enfant, elle en voulait un depuis longtemps, moi, je
le savais. Oh ! elle ne m’a jamais rien dit, mais une femme, des choses
comme ça, elle les devine, donc, la semaine dernière, chez mon beau-frère…
     
    Posé sur la table, dans la salle à manger de mon oncle
Antoine, j’avais vu dès l’entrée le képi de légionnaire, reconnu Rafaele Sori
qui se levait, senti la gêne de mon père.
    — On reste pas, disait-il.
    — Violette va venir, répondait Giovanna, attendez.
    Avec Edmond, nous étions descendus dans la rue. Il
s’asseyait le dos contre le mur, les jambes écartées, construisait avec cinq
billes ce que nous appelions le moulinet, et je visais, maladroit parce que je
guettais la voiture de Violette, que peu m’importait de perdre à chaque coup
une bille, que je voulais courir au-devant de ma tante, la prévenir. « Il
y a Rafaele. »
    Elle me prenait par la main, nous entrions ensemble. Rafaele
Sori était le seul qu’elle n’embrassait pas.
    — Je suis toujours à Marseille, expliquait-il. J’ai
demandé à partir au front, mais est-ce qu’il y a un front ? En première
ligne, ils labourent, ils tracent des sillons, avec charrues, chevaux, et les
Allemands en face, tout ce qu’ils font, c’est gueuler dans un haut-parleur !
Je crois qu’on va nous envoyer au Maroc. Si ça dure comme ça, je

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